Dans son livre « Construire les compétences individuelles et collectives » (Editions d’Organisation), Le Boterf note que « dans beaucoup d’entreprises, le discours sur la professionnalisation prend le pas sur celui de la formation ». Face au constat des irréductibles écart entre formation – apprentissages des participants – compétences constatées, il s’agit d’articuler différentes situations, de créer des parcours ayant pour objectif de créer un environnement favorable à l’émergence de la compétence professionnelle.
La formation devient un élément parmi d'autres d'un parcours de professionnalisation
En pratique, la professionnalisation se réalise par des parcours incluant et alternant des situations variées et diverses modalités d’apprentissage.
* Des situations variées : situations formelles de formation, situations de travail, missions ou projets à conduire…
Des modalités d’apprentissage diverses : participation à des stages, auto formation, participation à un groupe projet, tutorat, coaching, études, apprentissage coopératif entre pairs, retours d’expériences, partages de pratiques…
Ainsi, indique Le Boterf, « la construction des compétences n’est plus considérée et comme relevant de la seule formation, mais comme résultant de parcours professionnalisants incluant le passage par des situations de formation et des situations de travail rendues professionnalisantes ».
Dans une intervention sur ce thème, J. Cassingena, Directeur d’Etudes Stratégiques et Politiques pour Areva, notait ainsi que, pour lui professionnaliser signifiait mailler trois composantes : «de la formation/ des bonnes pratiques capitalisées/ et un réseau », pour une collectivité professionnelle donnée.
Des parcours individualisés
La démarche de professionnalisation va souvent de pair avec l’individualisation des parcours. Il s’agit, écrit Le Boterf, de « créer un contexte favorable à la réalisation de parcours individualisés, qui s’élaboreront et se piloteront comme des parcours de navigation », au sens où le parcours de chaque apprenant est déterminée par le « cap compétences » qu’il s’est fixé.
D’où l’émergence des fonctions de guidance (tuteur, mentor, coach…) indispensables pour « faire émerger les liens » entre les composantes du parcours.
Les apports spécifiques de la formation
La formation devient ainsi « un instrument au service de la professionnalisation » (J. Cassingena).
Il ne faut pas regretter l’écart entre formation et travail, il faut le prendre comme une donnée d’entrée de l’ingénierie de la professionnalisation. C’est parce que le travail est complexe, parce que le réel dépasse toujours le prescrit, que cet écart est irréductible. La formation est l’espace temps qui permet de prendre du recul, de mettre des mots sur ce que l’on fait et ce que l’on sait, d’acquérir de nouvelles ressources pour de nouvelles pratiques.
Ainsi, G. Le Boterf précise l’apport spécifique de la formation :
- Faire acquérir des ressources pour savoir agir avec pertinence
- Entraîner à combiner des ressources pour construire et metttre en œuvre des réponses pertinentes à des exigences professionnelles (se doter de nouveaux schèmes opératoires)
- Proposer des objectifs réalistes d’apprentissage. En s’appuyant sur la théorie de Vygostky de la Zone Proximale de Développement- qui aboutit à fixer des objectifs d’apprentissage sur la base de ce que l’apprenant est capable de faire avec un autre et qu’il doit être capable d’apprendre à faire seul - il s’agit de concevoir les situations d’apprentissage comme « des situations de déséquilibre suffisant mais non excessif ».
- Développer la capacité de réflexivité et de transfert (savoir ce que l’on sait et comment on a réussi pour être capable de transférer son apprentissage à de nouvelles situations),
- Développer la capacité d’apprendre à apprendre
- Avancer dans la construction d’une identité professionnelle
Pas de professionnalisation sans identité professionnelle
Ce dernier point me semble particulièrement important, et me fais penser que la construction de la "professionnalité" passe par la réhabilitation du métier.
L’introduction des compétences s’est faite, en partie, par réaction à une vision des « postes de travail », qui enfermait la prestation de l’individu dans un cadre délimité par l’organisation du travail.
Avec l’émergence de la notion de compétence, il s’agissait de reconnaître les potentialités personnelles du salarié par rapport à l’emploi, de mieux rendre compte du travail réel par rapport au travail prescrit.
Dans ce sens, certains ont affirmé que la notion de métier n’avait plus de sens, renvoyant à un monde archaique, celui de l’artisanat.
Le problème, c’est qu’un agrégat de compétences ne fait pas une identité professionnelle
Combien de projets de formation ont échoué à générer de la compétence parce qu’ils ne prenaient pas sens au regard d’une identité professionnelle, qu’elle soit à construire ou à faire évoluer ?
L’approche métier permet de visualiser des champs de mobilité, à l’intérieur du métier ou entre métiers. Elle donne de la perspective et du sens aux individus comme aux collectifs: elle est un levier pour se mettre en projet d'apprendre.
Un métier se définit par les caractéristiques suivantes (toujours d’après Le Boterf):
- Un corpus de savoirs et de savoir faire
- Une éthique spécifique à la communauté d’appartenance
- Une identité permettant de se définir socialement par rapport à d’autres corps de métier
- Une perspective d’approfondir ses savoirs et savoir faire par l’expérience accumulée, par la durée d’exercice.
Le métier intègre bien les compétences et leur évolution; sa valeur ajoutée est de caractériser les savoirs, la culture, qui spécifient l’activité professionnelle (Céreq).
La maîtrise de la compétence prend alors son sens, pour l’individu, car elle contribue à la reconnaissance de sa maîtrise du métier.
La formation, intégrée au parcours de professionnalisation, peut alors prendre son sens au regard d’un objectif de maîtrise professionnelle ou de mobilité.