Après nous être demandé ce qui pouvait motiver les salariés à aller en formation, voyons si la formation, une fois suivie, peut être un facteur de motivation au travail. Le lien ne va pas de soi : chaque responsable formation, chaque manager, a en tête l'exemple de salariés qui se forment dans une démarche individuelle, s'appuyant sur l'un des motifs d'engagement à se former évoqués la semaine dernière : plaisir d'être en formation, évitement, motif opératoire personnel ou professionnel envisagé en dehors du contexte de l'entreprise actuelle... La formation peut même avoir un effet négatif sur la motivation au travail, si elle paraît inadaptée aux besoins ou à la réalité du contexte, si elle n'est pas suffisamment accompagnée par le management...
L'idée que la formation peut avoir un impact positif sur la motivation des salariés au travail, sous entend que ceux ci auront non seulement le projet de se former, mais aussi de transférer leurs acquis de formation en situation de travail.
Le modèle "VIE" de Vromm nous donne des indications sur les éléments de contexte qui peuvent favoriser la motivation à se former et à réinvestir les acquis en situation de travail.
La recherche menée par Sharon S.Naquin et Elwood F. Holton, "The Effects of Personality, Affectivity and Work Commitment on Motivation to Improve Work Through Learning" (Les effets de la Personnalité, de l'Affectivité et de l'Engagement au Travail sur la Motivation à Améliorer le Travail au moyen de la Formation) nous donne des indications sur les variables liées aux différences interpersonnelles.
Le travail mené actuellement à l'ELM de Lyon par Fabienne Autier me semble donner des pistes intéressantes, à la fois pour travailler sur les éléments de contexte et pour laisser jouer les facteurs personnels favorables.
I- La théorie de la motivation au travail de Vroom
Dans cette théorie (1964), la motivation au travail est le produit de trois facteurs :
M= V x I x E, ce qui signifie Motivation = Valence x Instrumentalité x Expectations
- La Valence (V) est la désirabilité des conséquences d'un acte donné
- L'Instrumentalité (I) est la probabilité d'obtenir un résultat grâce à un comportement, ou grâce à la mise en oeuvre d'une stratégie.
- L'Expectation (E) "est une auto-évaluation, une probabilité que l'on porte sur ses chances de réussite" (Aubert).
A noter que dans ce modèle, si l'une des variables est nulle, le produit (la motivation) est nul également...
La question serait donc de comprendre en quoi la formation peut agir sur ces trois variables, et à quelles conditions.
Formation et Expectation
Dans un article de 1979, J-L Bergeron proposait un "cadre théorique pour l'étude de la relation entre la participation et la motivation au travail". Il y notait que, parmi les facteurs influents sur l'expectation, on trouve la compréhension des objectifs, leur accessibilité, et l'estime de soi.
Dans le même sens, on voit bien comment la formation peut influer sur l'expectation :
- En clarifiant ce qui est attendu
- En donnant des ressources (connaissances, savoir faire, méthodes...) qui rendent accessible l'atteinte des attendus
- En s’assurant des pré-requis, en graduant la difficulté, afin de mettre l'apprenant en situation de réussite et de contribuer à une meilleure estime de soi
Formation et Instrumentalité
On touche ici aux motifs opératoires (personnels, professionnels) que nous évoquions la semaine précédente, et qui apparaissent comme un puissant facteur de motivation à se former dans les enquêtes.
"L'instrumentalité" explique Michel Denjean dans son document sur la motivation (décembre 2006) "conduit à expliciter clairement les dispositifs de récompense et les critères d'attribution".
Le dispositif du co-engagement, qui prévoit que, pour les actions du plan de formation visant le développement professionnel du salarié (catégorie 2), lorsqu'elles sont effectuées en tout ou partie en dehors du temps de travail, l'employeur s 'engage à "reconnaître l'effort de formation" et à "donner accès en priorité, dans un délai d'un an, à l'issue de la formation, aux fonctions disponibles correspondant aux connaissances ainsi acquises" entre dans une perspective instrumentale, le résultat attendu étant la promotion sociale, l'amélioration des revenus, l'obtention d'un travail plus intéressant, d'une meilleure reconnaissance sociale...
L'instrumentalité de la formation est renforcée dans les Sociétés qui explicitent les liens entre offre de formation et filières métiers, offre de formation et mobilités potentielles, formation et reconnaissance (pas forcément monétaire)...
Faute de trouver en interne l'instrumentalité de sa démarche de formation, le salarié sera tenté de la trouver ailleurs...
Formation et valence
Toujours d'après Michel Denjean, "la valence est la valeur positive ou négative attribuée par un individu aux divers résultats attendus dans son emploi"; salaire, prime, promotion, valorisation...
C'est de la désirabilité des résultats attendus qu'il s'agit ici. Et donc de la crédibilité d'une certification, de la valeur attribuée par l'individu au système de reconnaissance, ou de prise en compte des résultats de la formation, prévu par sa société. Mais aussi du sens qu'il est en mesure de donner aux activités que la formation le préparent à maîtriser.
Travail sur le sens, sur les enjeux des acteurs, sur le lien entre formation - gestion des compétences et gestion des qualifications, accompagnement managérial du réinvestissement des acquis en situation de travail, sont donc les ingrédients indispensables pour assurer le lien entre formation et motivation au travail.
Cependant, l'étude conduite par S. Naquin et F. Holton montre que les traits de personnalité jouent également leur rôle dans ce passage entre la formation et la motivation au travail.
II- L'impact des caractéristiques personnelles
Ainsi que l'écrivent Naquin et Holton, les études sur les "dispositions individuelles", c'est à dire l'ensemble de ce qui fait la personnalité de chacun, influent sur les attitudes, qui elles mêmes influencent la motivation, qui en retour provoque certains comportements. Les éléments de contexte, que nous avons évoqué en 1ère partie, influencent les attitudes, motivations et comportements, mais ils entrent en résonnance avec les dispositions individuelles.
Leur recherche montre que les facteurs individuels qui influencent significativement la motivation à réinvestir les acquis de formation dans son travail, pour l'améliorer, sont :
- La confiance en soi et en autrui, l'optimisme, la croyance en sa propre capacité à influer sur le cours des choses (Positive Affectivity)
- La recherche des interactions interpersonnelles, l'énergie, l'enthousiasme (Extraversion)
- La "conscience professionnelle" (Conscientiouness) au sens d'aimer le travail bien fait, d'être persévérant, orienté vers la réussite (achievement)
- La disposition à aider les autres, et par extention à apporter sa contribution à une meilleure réalisation du travail (Agreeableness)
D'autres traits de personnalité, comme l'ouverture aux expériences nouvelles, l'orientation vers des buts, peuvent être des indicateurs de la motivation à se former, mais pas forcément de réinvestir les acquis de la formation dans le travail.
Ainsi que l'indiquent dans leur commentaire S. Naquin et F. Holton, "les professionnels des ressources humaines devraient prêter plus d'attention aux salariés qui présentent peu de ces dispositions, et soigner tout particulièrement l'amont de leur formation, afin d'élever leur niveau de motivation au stade de la pré-formation".
III- Fabienne Autier : donner le moyen aux individues de trouver et d'entretenir leur motivation
Lors d'une passionnante intervention au Congrès HR, le mois dernier, Fabienne Autier a proposé des pistes qui peuvent nous aider à faire le lien entre formation et motivation au travail.
Elle a tout d'abord constaté l'érosion des approches externes de l'engagement et de la motivation. Les leviers organisationnels sont difficiles à mettre en oeuvre, les entreprises ne sont pas en mesure de tenir leurs propres engagements envers leurs salariés.
Fabienne Autier propose donc de "repartir de l'individu et des ressorts de sa motivation" : "permettre aux individus, dans le cadre de leurs activités professionnelles, de trouver et entretenir leur motivation".
Selon son approche, tout individu au travail, pour entretenir sa motivation, doit adresser trois registres d'activités :
- Les "obligations" correspondent à ce pourquoi la personne est rémunérée. Le sentiment de ne pas les réaliser génère fatigue, stress. Leur accomplissement génère un sentiment de sécurité et d'appartenance.
- Les "initiatives" correspondent aux activités non prescrites, dont l'individu est l'initiateur. Si la prise d'initiative est impossible, cela génère perte d'enthousiasme et d'envie. A l'inverse, la prise d'initiative génère de l'estime de soi, et à pour fonction permet de faire valoir sa différence.
- Les "aspirations" correspondent aux activités issues d'un dépassement des limites que l'on croyait avoir. Si elles ne sont pas réalisées, une perte de sens dans le travail peut s'en suivre. Lorsqu'elles sont réalisées, cela génère réalisation de soi et accomplissement personnel.
Fabienne Autier tire des conclusions du modèle qu'elle propose en terme d'organisation du travail, de management, de GRH.
Il me semble que l'on peut s'appuyer sur ce modèle pour construire et expliciter la politique formation, faire en sorte qu'elle prenne du sens pour les salariés. Le plan de formation, dans sa catégorie 1, vise expressément à mettre en mesure les salariés d'accomplir leurs obligations: adaptation aux exigences du poste de travail, anticipation des évolutions de l'emploi.
Le plan de formation catégorie 2 et le DIF sont une opportunité pour le salarié de réussir dans sa prise d'initiatives, de réaliser ses aspirations.
Dans ce sens, une politique formation bien articulée aux 3 registres d'activités, et bien explicitée, peut véritablement devenir un facteur de motivation.