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Formation : quelle place pour l'initiative du salarié ?

Mathilde BourdatManager Offre et Expertise Formation Cegos

Il me semble que les politiques formation tendent à devenir plus descendantes. D'une "somme de demandes individuelles", plus ou moins arbitrées suivant les budgets disponibles, le plan de formation se fait reflet d'une politique, déclinée en orientations, imposant une part croissante des actions aux acteurs locaux.

Que devient alors l'initiative du salarié ? Une moindre prise d'initiative a-t'elle un impact potentiel sur les apprentissages ?

Dans l'enquête Cegos sur la formation professionnelle dans 6 pays européens, publiée en avril 2012, la France apparaît comme celui des 6 pays qui laisse le moins d'initiative au salarié.

Les deux pays où les salariés sont le plus à l’initiative de leur formation sont les Pays Bas (56%), et l'Espagne (52%). En moyenne, les salariés répondants ont été à l'initiative de leur formation dans 44% des cas- la France étant en retrait avec un taux de 39%.

Les deux pays où le départ en formation résulte le plus d’un dialogue manager salarié sont l'Italie (46%), et le Royaume Uni (44%). Pour cette réponse, la France est un peu au-dessus de la moyenne (40% pour une moyenne de 38%).

Enfin, les deux pays où le départ est le plus imposé sont la France (39%), et l'Allemagne (37%), pour une moyenne de 33%.

Pour l'analyse de ces écarts par pays, nous pouvons faire l'hypothèse d'une corrélation avec le processus même de l'accès à la formation.

En Espagne et aux Pays-Bas, la formation a en effet largement lieu en dehors du temps de travail. Par exemple, si les salariés français se sont formés sur le temps de travail à 75%, ce n’est vrai que pour 38% des espagnols et 37% des néerlandais.

Et c'est aussi en Espagne et aux Pays Bas que les répondants ont le plus financé eux-mêmes leur formation : 58% des salariés espagnols, 62% des néerlandais – alors que la formation des salariés français a été financée par l’entreprise à 76%, et celle des salariés allemands à 74%.

D'où notre hypothèse : l'obligation du salarié de suivre la formation prescrite serait la contrepartie de l'investissement réalisé par l'entreprise -formation sur temps de travail et financée par elle.

En poussant le raisonnement, pourrait on dire que la législation française, qui fait de la formation sur temps de travail la norme dans le cadre du plan (encadrement strict du hors temps de travail) et renchérit de manière dissuasive le coût du hors temps de travail pour l'entreprise (allocation formation), contribuerait à faire "perdre de l'initiative" au salarié ?

Une autre clé de lecture de l'initiative laissée au salarié vient des différences entre catégories professionnelles. Quelque soit le pays, l’initiative est davantage laissée aux cadres (48%) qu’aux ouvriers – employés (39%). La formation est imposée à ces derniers à 41% (contre 28% pour les cadres). Et ils bénéficient moins d’un dialogue avec leur manager sur le sujet (35% contre 41%). Il n’y a pas notablement plus initiative ou de dialogue avec le manager dans les grandes entreprises que dans les petites.

Il y a t'il une relation entre l'initiative et la qualité de l'apprentissage ?

Nuttin (1987, "Développement de la motivation et formation". Education Permanente n°88), travaillant sur les motifs d'engagement en formation, indique: "la condition, c'est que la forme de progrès proposée dans la formation continue soit incorporée par l'individu au projet d'autodéveloppement qu'il se forme pour lui-même". Nous retrouvons ici l'importance du projet, le centrage sur l'apprenant "acteur de son propre développement", à la source de l'engagement dans l'acte d'apprendre.

Deci et Ryan, dans leur recherche sur les motivations pour la formation, établissent "qu'avec un manque d'auto-direction, l'apprentissage devient moins efficace" (What is the self in self-directed learning. G. Straka, 2000. Traduit et cité par P. Carré dans "L'Apprenance", Dunod, 2005).

Mais que faisons nous du DIF ?

C'est précisément pour réintégrer de l'auto-détermination dans le processus d'accès à la formation que le DIF a été inventé. Malheureusement, la mauvaise compréhension du sens de ce dispositif, mais aussi peut être sa configuration même (prise en charge des coûts pédagogiques par l'entreprise, allocation formation...), ainsi que les habitudes prises antérieurement par les entreprises comme par les salariés français, empêchent souvent d'en faire un véritable outil de réappropriation de l'initiative individuelle en matière de formation.

Positionner le curseur

L'enjeu est important. Les mutations sont telles que la formation "prescrite" ne peut suffire. La capacité à auto-diriger ses apprentissages est une nécessité pour le salarié, confronté à une accélération des changements. Et il appartient à l'entreprise d'encourager le développement de cette capacité, car elle en a besoin.

En 1982, Mocker et Spear (Lifelong learning: Formal, Nonformal, Informal and Self-Directed. Ohio State University) ont publié une matrice permettant de positionner respectivement l'apprenant et l'institution.

  • Dans ce qu'ils nomment 'formal learning", l'institution, et non l'apprenant, controle à la fois les objectifs et les moyens de l'apprentissage.
  • Dans le "nonformal learning", l'apprenant contrôle les objectifs, et l'institution contrôle les moyens.
  • Dans "l'informal learning", l'institution contrôle les objectifs, mais l'apprenant contrôle les moyens.
  • Enfin, dans l'apprentissage auto-dirigé (self directed learning), l'apprenant contrôle à la fois les objectifs et les moyens de ses apprentissages.

Comme l'indique Chery Meredith Lowry dans son article Supporting and Facilitating Self-Directed Learning, "savoir si un apprentissage est auto-dirigé ne dépend ni du sujet, ni des modalités ou des méthodes de formation. Cela dépend de qui décide de ce qui doit être appris, de qui doit l'apprendre, des méthodes et des ressources à utiliser, et de comment les succès vont être évalués". "Peut être que seuls des degrés d'auto-direction des apprentissages sont réellement possibles, car il y a nécessité de maintenir des standards institutionnels. Par ailleurs, comme le souligne Mezirow (1985), on ne peut pas choisir librement des objectifs que l'on ne connaît pas. Pour ces raisons, certains auteurs proposent de se représenter le modèle de Mocker et Spear comme un continuum, plus que comme une matrice".

Proposition de petit exercice : par grand domaine de formation, et pour les grandes catégories professionnelles (et/ou les familles métiers) de votre entreprise, positionnez le curseur sur les deux axes "Choix des objectifs" et "Choix des moyens"...

Ecrit par

Mathilde Bourdat

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