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Le titre d’un film ? La suite du dernier James Bond ? Un remake de Twilight ? Rien de tout cela ! Il s’agit des paroles d’accueil d’un employé de back office d’une grande banque à l’adresse d’un tout nouvel arrivant dans son service. Humour, certes. Mais la phrase est dite… Alors ?

Bienvenue en enfer

Certains anciens rient jaune. Les plus récents sont franchement hilares. Il y en a même qui en rajoutent.

Le nouveau, déjà passablement mal à l’aise, se demande s’il doit sourire, faire mine d’être décontracté. Il jette un œil vers le manager qui semble légèrement décontenancé, hésitant à dire quelque chose : doit-il, lui aussi, lancer un trait d’humour ou bien redresser la situation « Je vous en prie ! Ne dites pas cela ! » ?

Et vous, managers, comment réagiriez-vous ?

La parole des uns…

La parole qui circule dans un groupe représente bien souvent l’élément essentiel de ce qui s’échange entre ses membres. Elle représente en quelque sorte son identité, sa marque de fabrique. Libre ou contrôlée, spontanée ou encadrée, montante, descendante ou transversale, professionnelle ou émotionnelle, elle est bien souvent tout cela à la fois.

Les paroles permettent à cet ensemble de transmettre les informations utiles aux prises de décision, de préparer des stratégies, d’ajuster des comportements. Elles véhiculent aussi les angoisses des uns et des autres, les joies et les peines. Elles orientent le désordre et les contradictions des pensées et des sentiments pour construire, petit à petit, un tout cohérent et fonctionnel.

Cette dynamique évolue et contribue ainsi à établir au fil du temps une espèce de rituel favorisant ou, au contraire censurant, certaines paroles. C’est ainsi que « Bienvenue en enfer ! » peut être considérée comme une parole inadmissible et choquante ou, à l’opposé, un moyen de décompresser salutaire pour supporter une pression pesante.

Sur le plan individuel, le maniement de la parole est un processus complexe, reflétant les besoins de la personne de plaire, rassurer, séduire. Depuis la première enfance, chacun est amené à ressembler à un modèle et à s’éloigner d’un anti-modèle. Inconsciemment, nous récitons ou reproduisons un rôle dont le texte nous est donné dans les grandes lignes. Nous adoptons un prêt-à-porter, prêt-à-penser, une représentation du monde, nous permettant d’obtenir l’approbation, la considération ou l’amour de ceux vers qui nous souhaitons nous rapprocher.

Le sentiment d’appartenance, la considération d’autrui, la subtilité et la prouesse du mot d’esprit, autant de facteurs de motivation que n’aurait pas désavoués Abraham Maslow !

La parole des autres…

Le même jour de son arrivée, le nouveau venu accompagne son manager à une réunion où l’ensemble des salariés du département sont convoqués. Là, il s’agit d’une toute autre musique. Il entend les mots « conquérir », « cibler », « occuper », « stratégie ». A entendre les différents conférenciers qui se succèdent, il devine des alliances, il pressent des groupes de pression, des réseaux d’influence. Ici, on ne parle pas, on communique. Il sait déjà que s’il apprend le bon langage, s’il comprend les codes, s’il sait les utiliser à bon escient auprès des bonnes personnes, sa promotion sera en bonne voie/voix. Dans cette salle, il voit que le prestige de l’orateur est pesé à l’aune de son pouvoir. Le « winner » est honoré, envié, jalousé !

La complémentarité joue à plein régime : le plaisir des uns de se soumettre et de marcher au pas, ainsi que leur besoin d’être mené par un dirigeant charismatique confortent le plaisir des autres de dominer, de séduire. Les demandes affectives de chacun se retrouvent et se renforcent.

Là aussi, notre recrue regarde discrètement le manager : Vibre-t-il de cette grand’messe ? Paraît-il galvanisé ? La démonstration de force le stimule-t-elle ? Ou bien semble-t-il suivre ces discours comme un spectacle ? Une sorte de pièce de théâtre nécessaire et utile où les rôles ne sont pas tous bien joués ?

Sa parole à soi.

Au fil des semaines et des mois, l’ex-dernier arrivé verra beaucoup d’autres situations qui lui permettront de se faire une opinion… et d’apprendre le bon langage.

Quel sera le bon langage ? Sûrement celui qu’il aura trouvé lui-même, en partie emprunté au langage des collègues mais aussi à celui des dirigeants, à condition que son manager le lui en ait laissé la possibilité, qu’il ait lui-même prouvé qu’il avait lui aussi son propre langage :

  • Un manager attentif à ce que la parole circule, veillant à ce que les membres de l’équipe ne craignent pas de se contredire eux-mêmes et entre eux, la contradiction n’étant pas synonyme de différend,
  • Un manager libéré du goût de dominer, sachant écouter et entendre ce qui n’est pas dit, protégeant l’impertinence dans une certaine limite et aidant son équipe à prendre du recul face à la langue de bois,
  • Un manager sachant traduire les mots des dirigeants pour les rendre moteurs à son équipe.

Acquérir son propre langage, connaître ses penchants pour les chants des sirènes, se laisser imprégner de la musique des mots qui nous réconfortent, qui nous énergisent. Trouver les mots qui nous apprennent en retour à mieux se connaître pour s’épanouir. Fuir les mots qui ne sont pas les nôtres et préférer ceux qui nous font grandir. Les paroles créatrices de soi.

Bienvenue au paradis !

Ecrit par

Jacques Isoré

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