Je suis en train de traiter mes mails un soir après le diner et ma fille Louise 12 ans (issue donc de la génération digitale), se campe devant moi et me dit :
- « Cela s’appelle comment ce que tu fais ? Tu es toujours au téléphone, ou derrière ton ordinateur à envoyer des mails ! »
- Je lui réponds : « je suis manager chez Cegos ». Puis je prends le temps de lui expliquer ce qu’est l’activité d’un organisme de formation et conseil :
- « Ah oui comme les profs… ».
- « Oui, mais ce sont des clients ».
- « Et ils sont sympas les clients ? » Tu leur donnes des notes ?
Alors, j’ai dû expliquer ce que voulait dire manager…
- « Alors, tu es chef ? »
- « Oui on pourrait dire cela comme ça ».
- « Mais tu es chef de quoi ? De qui ? »
- « Alors moi, je ne suis chef que de moi-même car je travaille en transversal sur une expertise. »
- « Sur quoi ? »
- « Sur une expertise, oui, je crée des formations, je les écris et je forme des personnes à être formateurs, je présente mon offre de formation à des clients, et je fais aussi de la formation à distance ? C’est plus clair pour toi ? »
-« Alors tu ne vois pas les gens, tu fais tout derrière ton ordinateur ? »
- « Mais si… je vois des gens »
- « C’est bizarre ton boulot, je ne sais pas trop comment je vais l’expliquer à mes copines… »
Pourquoi n’ai-je pas réussi à « dessiner un manager » ?
Cette anecdote illustre la difficulté à exprimer clairement ce que recouvre aujourd’hui le terme de manager. Etre manager, c’est combiner l’expertise et le relationnel, diriger des équipes ou pas, travailler de façon approfondie dans un domaine donné, ou piloter des activités variées. Derrière ce vocable de « manager », on va trouver de multiples identités professionnelles, de niveaux de responsabilités et de styles très différents aux missions innombrables.
Finalement un manager c’est un expert (souvent une personne reconnue pour ses connaissances ou ses compétences éprouvées dans un métier), mais c’est aussi quelqu’un de capable de créer de la valeur en développant des compétences transversales (relationnelles, organisationnelles, collaboratives…), et de fonder sa légitimité et sa pérennité professionnelle sur sa capacité à déployer les compétences stratégiques attendues par son entreprise (dénouer des situations inédites, faire face à l’imprévu, faire preuve d’intelligence des situations…)
Le manager, c’est aussi celui qui devrait consacrer un temps non négligeable à la relation : avec son équipe, sa hiérarchie, ses pairs, ses interlocuteurs internes et externes… Paradoxalement, ce temps est rarement valorisé (au sens premier : mis en valeur) par l’organisation. Au pire, le temps relationnel pourrait même être considéré, comme un temps improductif.
J’ai décidé de me poser les bonnes questions…
En cette période d’entretiens annuels et de fixation d’objectifs, autorisez vous à analyser comment votre compétence relationnelle de manager est prise en compte par votre organisation :
- Fait-elle partie de vos objectifs ?
- Vous demande-t-on de la développer ?
- Reconnait-on plus le temps que vous passez en gestion (tableaux Excel… et autres), ou le temps que vous passez à écouter vos collaborateurs, à prendre en compte leurs propositions, encourager leur créativité et leur capacité d’innovation ?
- Dans votre rôle de manager d’équipe, vous sentez-vous légitime pour les engager au service d’un projet d’entreprise qui les fédère ?
- Disposez-vous des marges d’autonomie suffisantes (au delà de votre expertise et de votre engagement personnel) pour déployer les leviers d’action auprès de vos équipes ?
- Etes-vous décisionnaire dans les attributions de primes et d’augmentations ?
- Dans les sanctions et les récompenses ?
- Dans le déploiement des plans individuels de développement et de formation ?
C’est le moment à cette période de l’année de revisiter votre rôle de manager vu par votre entreprise.
Si vous trouvez des distorsions entre votre vision de ce que doit être ce rôle, et ce que vous vivez au quotidien, voici quelques pistes de réflexion et d’action :
Regardez dans le rétroviseur de l’année 2010, quel est le temps que vous avez réellement passé en activité de management ( qu’il s’agisse d’équipes, de projets, d’expertise…) et les objectifs que vous aviez à remplir relativement à ces champs.
Regardez en parallèle toutes les activités chronophages que vous avez dû assumer :
- Faire « à la place de » (vos collaborateurs) car vous n’avez pas eu le temps de les former pour qu’ils grandissent en compétence et gagnent en autonomie.
- Faire « pour » (les services dits « supports ») qui ont une large propension à demander des reporting et des tableaux pour alimenter leurs systèmes.
- Faire « avec » (les stratégies individuelles) au lieu de travailler en synergie pour un intérêt commun
- Faire « contre » (votre intelligence des situations, votre intuition)
- Faire « sans » (les moyens qui devraient vous être donnés pour gagner en efficacité)
... et de passer à l’action
Définissez l’impact de ces contraintes sur votre cœur de mission normalement orientée client, activité, produit, service… Et proposez à votre patron un plan d’action pour vous rapprocher de ce qui fait la valeur ajoutée de votre activité. Distinguer l’essentiel de l’accessoire pour cerner votre véritable rôle de manager, ce qui en fait la raison d’être dans votre organisation, pour pouvoir expliquer avec simplicité à vos enfants ce que vous faites au travail !
Cette période d’entretiens institutionnels est l’occasion de temporiser le rythme, de prendre le temps du bilan (avec précision et méthode comme la tortue), et de la prise de hauteur (avec la vision périphérique de l’aigle). Cette étape vous permettra de repositionner votre objectif (ce qui est important pour vous) en lien avec vos convictions et vos valeurs.
« Celui dont la pensée ne va pas loin verra les ennuis de près." - Confucius