Le tableau « Le retour du fils prodigue », peint par Rembrandt, ne fut découvert qu’après la mort du peintre. Sa renommée tient en quelques points majeurs qui ont fait la réputation du peintre hollandais : les personnages semblent sortir de l’obscurité totale et le contraste avec la lumière et les couleurs saisit le spectateur pour mieux focaliser son attention vers les personnages voulus par Rembrandt. Ce n’est pas la beauté des personnages qui rend l’œuvre belle mais l’expression de leurs émotions. Le père aimant, serein, enveloppe son fils prodigue revenant dépenaillé après des années passées à errer et avoir connu une vie de débauche. Tout cela sous le regard contrarié ou hautain du fils ainé.
Le retour du fils prodigue, Rembrandt
L’histoire de la toile
L’histoire dont nous parle Rembrandt est la suivante :
Le premier fils
Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir ». Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dilapida son bien en vivant dans la débauche.
Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla se mettre au service d'un des habitants du pays, qui l'envoya dans ses champs garder ses cochons. Miséreux, il en était venu à envier la nourriture des cochons. Réfléchissant, il se dit : combien d’ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j'irai vers mon père, et je lui dirai : « mon père, je suis coupable envers toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes ouvriers». Il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et l’embrassa. Le fils lui dit : « Mon père, je suis coupable envers toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ». Mais le père dit à ses serviteurs : « apportez vite les plus beaux habits, et habillez le ; mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ». Et ils commencèrent à se réjouir.
Le deuxième fils
Pendant ce temps-là, le fils aîné était dans les champs.
Lorsqu'il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. Il appela l’un des serviteurs et lui demanda ce qui se passait. Le serviteur lui dit : « ton frère est de retour, et, parce qu'il l'a retrouvé en bonne santé, ton père a tué le veau gras ». Il se mit en colère, et ne voulut pas rentrer. Son père sortit, et le pria d'entrer. Mais il répondit à son père : « il y a tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des vauriens de toutes sortes, c'est pour lui que tu as tué le veau gras ! ». « Mon enfant », lui dit le père, « tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ; mais il fallait bien s'égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à la vie, parce qu'il était perdu et qu'il est retrouvé ».
Le manager et ses deux collaborateurs
Imaginons maintenant que le père de cette histoire est un manager et que les deux fils sont ses collaborateurs.
Le premier collaborateur
Le jeune collaborateur, au début de l’histoire, imagine qu’il va pouvoir s’épanouir ailleurs, en prenant de la distance, en cherchant plus de liberté loin de son service et de son équipe d’origine. Qui ne s’est jamais imaginé, à certains moments de sa carrière, que l’herbe était plus verte ailleurs ? « Je réussirai mieux, je suis plus rusé que vous ! » semble-t-il dire.
Le manager, confiant dans le potentiel de son collaborateur, cherche une solution pour répondre à son besoin de nouveauté ainsi qu’à son ambition. Il lui délègue donc une mission intéressante, nouvelle, à fort enjeu, lui permettant de découvrir de nouveaux domaines, de rencontrer des personnes prestigieuses, d’acquérir de nouvelles connaissances et où il aura une grande marge de manœuvre.
Fort d’une bonne dose de confiance en lui, le collaborateur part à la conquête d’un nouveau terrain de jeu inconnu, persuadé qu’il fera quelque chose d’exceptionnel, de toute façon mieux que quiconque. Le temps passe, les ressources diminuent, le collaborateur ne rencontre pas le succès espéré. Le manager, lui, ne contrôle pas – ou peu – son activité, persuadé qu’il a pris la bonne décision et malheureusement les résultats n’arrivent pas. Le collaborateur, seul, pris dans son propre piège, se sent empêtré dans ses difficultés et se demande comment il peut s’en sortir. Il accepte n’importe quoi pour trouver une issue mais les choses empirent, les erreurs s’accumulent, il se retrouve seul. Il lui faut alors se rendre à l’évidence : son expérience est un échec. Il lui faut donc prendre une décision : soit partir, fuir, le plus loin possible et ne jamais revenir, soit retourner vers son point d’attache et risquer la honte et l’humiliation, les remarques désobligeantes de son manager et de ses collègues.
Il revient, penaud, demandant à être réintégré, à retrouver son poste d’avant. Difficile posture (que Rembrandt fait nettement ressortir : chaussures usées, pieds nus, vêtements en haillons, position à genoux et courbé.)
Comment son manager va-t-il réagir? Il lui rend son poste (dans l’histoire, le père donne de nouveaux vêtements), le réintègre dans l’équipe (le père lui fait apporter une alliance), et lui redonne de nouvelles responsabilités (le père lui offre des chaussures neuves) pour « remettre les compteurs à zéro ». Tout à la joie de retrouver son collaborateur, le manager semble miser sur cette expérience comme une chance pour le collaborateur de revenir plus motivé, avec plus de recul, plus d’expérience et donc plus impliqué.
Le deuxième collaborateur
Se pose ensuite le problème du deuxième collaborateur ; il semble a priori plus soumis, plus docile. Il n’avait pas les mêmes velléités que son collègue. A voir la façon dont celui-ci est traité, il constate que l’obéissance et la fidélité ne sont finalement pas aussi bien considérées et récompensées que la frivolité et l’insouciance. Du moins, c’est ce qu’il met en avant pour se plaindre. Jaloux de ce traitement, ne risque-t-il pas de nourrir de la rancœur vis-à-vis de son manager ?
La colère et la rancune de ce deuxième collaborateur ne semblent pas déstabiliser le manager qui les considèrent tous deux d’égale valeur et qui leur attribue une parfaite égalité de partage des ressources. Peut-être le manager considère-t-il que celui qui est resté n’a pas eu le courage de prendre des initiatives et que, au bout du compte, la lâcheté de l’un et la légèreté de l’autre les remettent au même niveau ?
Et vous, manager, comment appréhenderiez-vous cette situation ? S’il vous fallait choisir entre audace et fidélité, entre imprudence et obéissance,…
Et la suite ?
L’histoire s’arrête ici. Les deux collaborateurs collaboreront-ils de nouveau ensemble ? Le premier retrouvera-t-il une fonction pleine et entière ? L’appel du large ressurgira-t-il pour lui ? La frustration du deuxième s’apaisera-t-elle ou s’amplifiera-t-elle ? Et si cette mésaventure le poussait, lui, à franchir le pas, à aller voir ailleurs ? A vous d’inventer la suite.