Comment aborder le reporting de durabilité ?

Bruno BachyManager Offre et Expertise Finance - Gestion - Comptabilité

Le reporting de durabilité est pour de nombreuses entreprises un nouveau fardeau réglementaire qui nécessite d’assimiler les textes, de mettre en place un projet, de s’interroger sur les outils de collecte de données, de mettre en place ou renforcer le contrôle interne garantissant la fiabilité des données… Voici quelques réflexions pour mieux comprendre le sens de cette nouvelle exigence de reporting et du concept clé de matérialité.

En raison des nouvelles obligations découlant de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), de nombreuses entreprises se préparent à produire pour la première fois ou à revisiter leur reporting de durabilité. Ce reporting s’inscrit dans la stratégie européenne qui vise à parvenir à la neutralité carbone en 2050. Il fait partie intégrante des différentes réglementations européennes qui cherchent à développer une finance plus durable et responsable. Au-delà d’un exercice supplémentaire de reporting, c’est un point de bascule que les entreprises vont vivre.

Pour les entreprises, il y a deux façons d’appréhender le sujet. On peut le soit le voir comme un exercice de conformité supplémentaire, soit l’appréhender comme un véritable projet de transformation de l’entreprise. Si l’entreprise se met dans cette perspective, un travail d’éducation et d’implication de tous les acteurs s’impose en commençant par la gouvernance. Force est de constater que pour de nombreuses entreprises prochainement soumises au reporting de durabilité, le travail ne fait que commercer.

Reporting de durabilité : quel objectif ?

L’objectif du reporting de durabilité est d’informer l’ensemble des parties prenantes sur les performances et l’impact de l’entreprise en matière de durabilité.  Pour répondre à cet objectif, plusieurs impératifs : responsabilité, transparence, comparabilité et fiabilité. 

Face à ces exigences, les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) ont été élaborées par l’Efrag (European Financial Reporting Advisory Group) afin de créer un cadre normatif de référence applicable à toutes les entreprises. Ces normes ont été créées en lien avec la nouvelle directive CSRD dont la transposition en droit français est attendue d’ici fin 2023.

Reporting de durabilité : quelles sont les entreprises concernées ?

Ces obligations de reporting s’appliquent progressivement, dès l’exercice 2024, aux grandes entreprises déjà soumises à la DPEF. Ensuite, à compter de l’exercice 2025, elles s’appliquent aux entreprises dépassant les seuils (2 des 3 critères de CA >40 M euros, nombres de salariés >250 et total bilan > 20 M euros).

Néanmoins, le périmètre des entreprises concernées par ces nouvelles règles peut encore évoluer. En effet, dans un souci de compétitivité, la Commission européenne souhaite réduire les obligations de déclaration de 25 % pour les petites et moyennes entreprises. Une révision des seuils de la directive européenne comptable de 2013 en cours permettrait à certaines PME non cotées d’échapper aux obligations de reporting extra-financier.  Attendons la transposition de la directive. Rien n’est joué entre partisans d’un capitalisme durable et responsables politiques qui redoutent qu’une "avalanche normative" ne soit un fardeau pour les entreprises et en définitive entrave leur compétitivité.

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Une évolution des attentes

Quelles que soient les décisions politiques sur les obligations de reporting, les entreprises doivent intégrer les attentes sociétales et celles de l’ensemble de leurs parties prenantes. L’époque de la finance classique où l’entreprise appartient à ses actionnaires, les autres parties prenantes sont simplement des créanciers et où Milton Friedman écrivait que "la responsabilité sociale d’une entreprise consiste à augmenter ses profits" est probablement derrière nous.

À présent, les entreprises ont intégré qu’une politique de maximisation des profits à court terme peut avoir des effets dévastateurs à long terme pour son image sociale. Et ils affecteront in fine les ventes et les profits. Les actionnaires cherchent certes un rendement immédiat avec une vision classique du couple rendement-risque. Mais pour beaucoup la soutenabilité du modèle d’affaires est l’élément clé dans leur décision d’investissement. En définitive, la création de valeur pour l’actionnaire n’est pas une stratégie mais une résultante. Et les principaux leviers de cette création de valeur sont les produits, les salariés, les clients, les fournisseurs et plus généralement la prise en compte des attentes de la société et de l’ensemble des parties prenantes.

Vers une performance globale

Loin de s’opposer, finance et développement durable se complètent et apportent chacun leur contribution à la performance d’une entreprise. Il ne s’agit donc pas de rejeter toute l’approche de la finance classique mais d’enrichir l’existant avec une vision extra-financière.

Le reporting des entreprises doit à présent reposer sur deux jambes, d’une part le reporting financier et d’autre part le reporting de durabilité. Évidemment ces deux jambes doivent se parler pour appréhender la performance globale d’une entreprise. Cette performance globale doit assurer la pérennité de l’entreprise en prenant en compte et améliorant les effets de son activité sur les aspects économiques, sociaux et environnementaux.

Elle permet également d’identifier les synergies entre performance économique, sociale et environnementale, afin de maximiser les gains pour l’entreprise, l’environnement et la société à court, moyen et long terme.

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La construction du reporting de durabilité

La Commission européenne a donc adopté le 31 juillet 2023 l’acte délégué comprenant la première série des normes d’information de durabilité dénommées ESRS pour établir le rapport de durabilité. Il s’agit de 12 normes non sectorielles, dites agnostiques, c’est-à-dire applicables à l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur activité.

Les normes ESRS 1 et ESRS 2 sont essentielles car elles définissent les principes fondamentaux de ce reporting de durabilité. La norme ESRS 1 "Exigences générales" poursuit l’objectif d’expliciter l’architecture des ESRS et les concepts fondamentaux, en particulier la double matérialité et la chaîne de valeur. Elle pose également les exigences de présentation du reporting de durabilité.

La norme ESRS 2 "Informations générales à publier" établit les exigences de publication obligatoires pour 4 domaines : la gouvernance, la stratégie, la gestion des impacts des risques et opportunité (IRO) et les métriques et cibles. La norme ESRS 2 n’est pas soumise à l’analyse de matérialité. Les autres informations à produire sont-elles soumises à l’analyse de matérialité ce qui signifie que l’analyse de matérialité est centrale dans le reporting.

La notion de matérialité

Issue du monde financier, la matérialité est transposée dans le cadre de la RSE. La matérialité signifie ce qui est important, pertinent ou significatif pour un décideur financier. Concrètement une information est dite matérielle lorsqu’elle dépasse un "seuil de signification", qui est un montant au-delà duquel les décisions économiques, en particulier les décisions des investisseurs sont influencées.

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L’analyse de double matérialité

Le monde de la RSE s’est approprié ce concept dans le cadre du reporting extra-financier.  L’approche européenne utilise le concept de double matérialité quand l’ISSB promeut uniquement la matérialité financière.

L’analyse de double matérialité regroupe deux types de matérialité :

  • La matérialité financière (vision “Outside-in”) – ou matérialité simple qui étudie l’impact des enjeux sociétaux et environnementaux sur la performance économique de l’entreprise.

La matérialité financière permet d’identifier et de gérer les risques et les opportunités liés aux enjeux sociétaux et environnementaux, qui peuvent affecter la rentabilité, la valeur des actifs, les cash-flows, le chiffre d’affaires...

Par exemple, une entreprise qui ne respecte pas les normes environnementales est exposée à un risque de sanctions, de litiges, de perte de clients ou à de dégradation de son image. À l’inverse, une entreprise qui investit dans des solutions écologiques peut bénéficier d’une opportunité en développant un avantage concurrentiel, une fidélisation de ses parties prenantes ou une réduction de ses coûts.

  • La matérialité d’impact (vision “Inside-Out”), s’intéresse à l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement et la société. Elle concerne donc les impacts réels ou potentiels sur les personnes et l’environnement des opérations de l’entreprise et de sa chaîne de valeur en amont et en aval.

La gestion des déchets pourrait être un exemple de matérialité d’impact. Une entreprise qui génère une quantité de déchets importante, peut avoir un impact négatif sur l’environnement et la société. En revanche, si l’entreprise met en place des pratiques de gestion des déchets durables, l’impact positif sur l’environnement et la société peut être positif.

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La matrice de matérialité 

Un enjeu devient matériel s’il génère une matérialité d’impact ou financière, c’est pour cette raison que l’on parle de lecture en L de la matrice de matérialité. Il ne s’agit donc pas d’une lecture classique en matérialité financière et d’impact où seuls les enjeux en haut à droite de la matrice seraient considérés comme matériels.

La Commission européenne a fourni un tableau illustrant l’analyse de matérialité et permettant de déterminer les informations à fournir au titre des ESRS (Appendice E de la norme ESRS 1).

Conduire une analyse de matérialité

La norme ESRS ne propose pas une méthodologie prête à l’emploi pour mener une analyse de matérialité. S’agissant d’un élément clé de la mise en application des standards ESRS, l’Efrag a été chargé par la Commission européenne d’établir un guide d’application. Ce guide est en cours de discussion.

Néanmoins, avant même cette publication, nous pouvons dresser des grandes étapes pour commencer cette analyse de matérialité :

1. Comprendre le contexte ESG de l’entreprise
Il s’agit de situer le contexte, les activités, l’environnement de l’entreprise, les relations d’affaires et les principales parties prenantes.

Pour ce faire, les outils d’analyse stratégiques sont utiles pour clarifier le paysage ESG de l’entreprise. En particulier les outils PESTEL et la matrice SWOT qui aideront à identifier les enjeux et à s’interroger sur les politiques mises en œuvre.

2. Identifier les enjeux ESG pertinents pour votre entreprise, en s’appuyant sur les normes ESRS, la norme ESRS 1 dresse une liste de sujets obligatoires à considérer dans le cadre de l’analyse de matérialité. Pour chaque enjeu, il est nécessaire d’identifier les risques et opportunités ainsi que les impacts actuels et potentiels.

3. Évaluer la matérialité de chaque enjeu sous les deux angles : matérialité d’impact et matérialité financière.

4. Déterminer les sujets matériels sous l’angle de la matérialité financière et/ou d’impact. Cette évaluation correspond à la matrice de matérialité.

Les parties prenantes ont un rôle à jouer dans la construction de cette matérialité des enjeux, même si leur consultation n’est pas formellement obligatoire, il importe d’être transparent sur la façon dont elles ont été prises en compte.

En conclusion, le reporting de durabilité intégré au rapport de gestion devient un document central dans le monde des affaires. C’est un document d’information mais pas une obligation d’agir sur les enjeux de durabilité. Néanmoins, implicitement la performance se jugera sur les progrès réalisés dans la durée sur les questions de durabilité.   

Voir notre webinar sur le reporting de durabilité

Ecrit par

Bruno Bachy

Après plus de 15 ans d’expérience opérationnelle en audit et direction financière, Bruno Bachy est à présent manager, responsable de nos offres formation dans les domaines de la comptabilité et de la fiscalité.Ses responsabilités le positionnent au centre des évolutions des métiers de la comptabilité.
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