Norme IFRS 16 : comprendre ses impacts sur l’analyse financière

Michel SionManager Offre et Expertise Finance Cegos

Obligatoire depuis le 1er janvier 2019, la norme IFRS 16 bouleverse la lecture des documents financiers de nombreux groupes. Elle change aussi le calcul de différents agrégats comme l’endettement net et l’Ebitda. Découvrez ici toutes les subtilités de cette norme. Et pour aller plus loin que la théorie, nous analyserons l’arrivée d’IFRS 16 sur les comptes du groupe Damartex.

De la norme IAS 17 à la norme IFRS 16

IFRS 16 a remplacé la norme IAS 17, avec une mise en œuvre au plus tard pour les exercices commençant à partir du 1er janvier 2019. La connaissance de la norme IAS 17 est importante pour comprendre les changements apportés par IFRS 16 ainsi que les critiques qui lui sont faites par les analystes financiers.  IAS 17 distinguait

  • Les contrats de location-financement ayant pour effet de transférer au preneur la quasi-totalité des risques et avantages inhérents à la propriété d’un actif, le transfert de propriété pouvant intervenir in fine ou non. Tel était le cas notamment lorsque la valeur actualisée des loyers obligatoires (qui représente la part en capital de ces loyers) s’élève au moins à la quasi-totalité de la juste valeur de l’actif loué ou lorsque la durée de ces loyers couvrait la majeure partie de la durée de vie du bien. Figurent dans cette rubrique les opérations de crédit-bail et location longue durée correspond aux critères ci-dessus ;  
  • Les contrats de location simple désignant tout contrat de location autre qu’un contrat de location-financement.

Les loyers des contrats de location simple étaient comptabilisés en charge opérationnelle, décaissables et les engagements n’étaient pas comptabilisés au bilan.  

Les locations-financements étaient quant à elles considérées comme un investissement financé par emprunt MLT. Au bilan, les engagements relatifs à ces contrats étaient comptabilisés en immobilisation et en emprunt pour refléter la réalité économique et financière de l’opération. L’actif immobilisé était amorti sur sa durée d’utilité, pouvant être différente de la durée de paiement des loyers. Les loyers étaient comptabilisés comme une annuité de remboursement d’emprunt avec une part de remboursement en capital et une part de charges financières.

Cette distinction était structurante pour appréhender les locations. Toutefois, avec IFRS 16, l’IASB a modifié la comptabilisation des locations car beaucoup de groupes avaient négocié l’augmentation des valeurs résiduelles ou le raccourcissement des durées pour qu’elles soient considérées comme des locations simples, évitant ainsi de dégrader leurs ratios d’endettement.

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IFRS 16 : toutes les locations sont immobilisées

Avec IFRS 16 tous les contrats de location sont immobilisés. Seules les locations dont la durée n’excède pas un an ou dont la valeur unitaire ne dépasse pas 5 000 USD échappent à cette obligation. Selon IFRS 16 un contrat de location donne le contrôle de l’utilisation d’un actif identifiable, moyennant une contrepartie.

Les locations immobilisables comprennent différentes sortes de contrat :  

Les contrats préalablement considérés comme des locations financement : opérations de crédit-bail, locations longue durée correspondant aux critères d’IAS 17 ;

Les contrats qui étaient considérées comme des locations simples, par exemple les baux commerciaux 3-6-9 ;

Des locations incorporées dans des contrats de prestation de services, par exemple, la mise à disposition d’une surface de stockage dans un contrat logistique. IFRS 16 donne des indications pour distinguer les parties loyer et services dans le prix d’un tel contrat. Ce traitement était déjà prévu par l’interprétation IFRIC 4.

L’incidence au bilan des locations selon IFRS 16

IFRS 16 a pour effet d’augmenter le montant des immobilisations et de l’endettement.

  • Au bilan, le cumul des loyers futurs actualisés est comptabilisé à l’actif comme un droit d’usage (immobilisation), et au passif comme un engagement locatif en passif financier non courant et passif financier courant pour la partie décaissable à moins d’un an.
  • La durée de la location (durée sur laquelle les loyers sont cumulés) est égale à la période non résiliable du contrat à laquelle s’ajoute :
    • La durée au-delà de l’option de prolongation, s’il est raisonnablement certain que le preneur exerce cette option ;
    • La durée au-delà de l’option de résiliation, s’il est raisonnablement certain que le preneur ne l’exerce pas ;
  • Un jugement est donc souvent nécessaire pour déterminer la durée sur laquelle les loyers futurs sont immobilisés. Ainsi, si la durée d’amortissement des agencements excède notablement la période non résiliable, il est raisonnablement certain que la durée de la location continuera au-delà de cette période non résiliable.   

L’incidence IFRS 16 au compte de résultat

  • Le droit d’usage est amorti sur la durée de la location. L’amortissement se substitue à un loyer décaissé. Par conséquent, l’Ebitda augmente ;
  • Les paiements relatifs à l’engagement locatif sont considérés comme un remboursement d’emprunt. Seule la part d’intérêt figure en charge, la part en capital venant en diminution de l’emprunt. Le résultat opérationnel courant s’améliore du montant des frais financiers comptabilisés dans le résultat financier ;
  • Ce mode de comptabilisation dégrade légèrement le résultat au début de la location, car les amortissements sont généralement linéaires et la part d’intérêt dégressive avec la durée.
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L’incidence d’IFRS 16 au tableau de flux

  • Le flux de trésorerie de l’activité augmente, car l’amortissement du droit d’usage se substitue au loyer décaissé sur la période. En outre, les frais financiers sont parfois reclassés dans le flux de trésorerie du financement.
  • À l’inverse, le flux de trésorerie du financement se dégrade car les paiements de loyers sont désormais considérés comme un remboursement d’emprunt pour la part en capital.

Exemple d’une première mise en œuvre d’IFRS 16 avec le groupe Damartex

Le groupe Damartex, qui doit sa renommée au fameux Thermolactyl, se présente aujourd’hui comme un groupe de la silver economy (économie du 3e et 4e âge). S’il a récemment amorcé un virage dans les services de soin à domicile, le groupe exploite toujours 130 magasins, dont 85 situés en France. La comptabilisation des engagements locatifs de ces magasins a une incidence très significative sur les comptes du groupe. Avec une clôture des comptes au 30 juin, l’exercice du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 est le premier exercice du groupe pour la mise en œuvre d’IFRS 16.   

Une application rétrospective simplifiée

Damartex a utilisé l’application rétrospective simplifiée consistant à n’intégrer qu’au bilan d’ouverture les locations (cumuls des loyers futurs actualisés) existant à la date de mise en œuvre de la norme, au 1er juillet 2019. Ces frais sont intégrés pour un montant égal dans les passifs et à l’actif, donc sans incidence sur les capitaux propres.

Cette approche est plus simple que l’approche rétrospective complète qui consiste à présenter les comptes comme si l’entreprise avait toujours appliqué la norme IFRS 16 les exercices précédents.  

Incidences d’IFRS 16 sur le bilan Damartex

La note 2.2 de l’annexe détaille les incidences comptables d’IFRS 16. Les encours de location figurent au bilan au 30 juin 2020, mais pas à celui de l’exercice précédent. Toutefois, une annexe montre l’incidence d’IFRS 16 au bilan d’ouverture au 1er juillet 2019 : l’actif et le passif augmentent de 80,4 millions d’euros. À l’actif, les droits d’utilisation se montent à 96 millions d’euros : dans lesquels sont reclassés des droits au bail pour 9,4 millions d’euros, précédemment classés en immobilisations incorporelles et des locations financement précédemment classées en immobilisations corporelles.

Le rapport annuel indique que la majeure partie des locations intégrées au bilan correspondent aux baux commerciaux des magasins, le groupe recourant peu au crédit-bail et à la location longue durée.

L’écart de 18,7 millions d’euros entre les engagements liés aux contrats de location présentés hors bilan au 30 juin 2019 et les passifs liés aux engagements locatifs au 1er juillet est dû à la prise en compte dans les passifs en norme IFRS 16 des durées liées aux options de renouvellement,dont l’exercice est raisonnablement certain.

Incidences d’IFRS 16 au compte de résultat et au tableau de flux Damartex

Au compte de résultat, la charge d’amortissement des droits d’utilisation est de 14,4 millions, soit 2 % du chiffre d’affaires. Les charges financières augmentent d’1,4 millions, et le résultat net se dégrade un peu en raison de leur dégressivité.

Au tableau de flux, la capacité d’autofinancement augmente de 14,4 millions (amortissement des droits d’usage). Les remboursements des engagements locatifs se montent à 14,8 millions.

Des indicateurs extra comptables, Ebitda et endettement net inchangés

Rappelons que les autorités boursières encouragent les groupes cotés à communiquer sur des indicateurs financiers non normés à condition d’en définir précisément le mode de calcul. Ces indicateurs comprennent fréquemment l’Ebitda, le flux de trésorerie disponible (free cash flow), l’endettement net.

La note 2.26 du rapport annuel Damartex détaille le calcul de l’Ebitda opérationnel. Il est égal au résultat opérationnel courant retraité de l’ensemble des éléments calculés le composant : amortissements, dotations et reprises sur provisions, autres charges calculées. La note indique que pour assurer la comparabilité et le suivi opérationnel de cet indicateur, les effets de la norme IFRS 16 en ont été exclus.

La note 22 du même rapport décrit ensuite le calcul de l’endettement net, égal aux dettes financières nettes des excédents de trésorerie. Les passifs liés aux engagements locatifs n’ont pas été pris en compte pour le calcul de l’endettement. Paradoxalement, IFRS 16 a réduit l’endettement net car il ne comprend plus les encours de location financement désormais intégrés dans les passifs liés aux engagements locatifs ! Cette amélioration est toutefois marginale compte tenu du faible montant des locations financement.

Ebitda et endettement net constituent des indicateurs sensibles utilisés pour l'évaluation d'entreprise et dans le cadre des covenants des contrats de prêts bancaires dont la dégradation peut entraîner une déchéance du terme.

Le fait de ne pas prendre en compte les incidences d’IFRS 16 dans le calcul de ces deux indicateurs financiers clés semble refléter une méfiance à l’égard de cette norme.      

IFRS 16 : une norme controversée pour les analystes financiers

Par une note de mai 2020, la Sfaf (société française des analystes financiers) a exprimé une certaine défiance à l’égard d’IFRS 16.

Elle déplore la disparition de la distinction entre les contrats de location financière et de location opérationnelle car ils correspondent à des réalités économiques différentes : « dans le premier cas, le risque économique est transféré au preneur alors qu’il continue à être porté par le bailleur dans le second cas ". […]. Elle regrette également que les groupes ne doivent pas fournir en annexe les engagements de location financière permettant de faire des retraitements.  Cette disparition bouleverse la lecture du compte de résultat et du tableau de flux de trésorerie car la charge de loyer est remplacée par un amortissement et des frais financiers ». On peut douter de la pertinence de traiter en amortissement et en frais financiers une charge d’exploitation décaissable récurrente, considérer ce loyer comme une simple charge décaissable parait plus proche de la réalité.

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On peut également douter de la pertinence de l’inscription en immobilisation et en emprunt d’un cumul de loyers actualisés lorsque le cumul de la valeur actuelle de ces loyers n'est pas proche de la juste valeur du bien ou que la durée du contrat ne représente pas la majeure partie de la durée d'utilité. L'opération ne peut être assimilée à un investissement financé par emprunt.

Finalement, IFRS 16 rend la comparaison avec les comptes en normes américaines (US GAAP) plus difficile voire impossible, car ces normes continuent de distinguer les deux types de location.

Déjà avant IFRS 16, les groupes communiquaient sur un indicateur, extra comptable l’Ebitdar (r pour rentals) permettant d’évaluer la performance économique avant l’ensemble des loyers.  Cet indicateur correspond à ce que devrait être l'Ebitda dans le cadre d'IFRS 16.

Ecrit par

Michel Sion

Spécialisé dans la finance d'entreprise, Michel Sion est responsable des offres de formation Trésorerie, Finance, Gestion et Comptabilité pour non spécialistes et Risque client.
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