Cegos a publié cette semaine l'enquête "Quelle formation professionnelle pour aujourd’hui et pour demain ?", qui permet de comparer les réponses de 2 200 salariés français, espagnols, allemands, britanniques : 550 salariés pour chacun de ces pays, d'entreprises ou d'administrations de toutes tailles et tous secteurs, de toute catégorie socio professionnelle.
Il est intéressant de comparer les résultats obtenus avec ceux publiés par le CEREQ à l'occasion d'enquêtes précédentes. Dans ce premier billet, je propose d’identifier les spécificités des pratiques des entreprises françaises, et de les analyser au regard de notre contexte institutionnel.
Dans un deuxième billet à suivre, j’essaierai de comprendre pourquoi, malgré un excellent taux d'accès à la formation continue, les salariés français se montrent souvent plus critiques que leurs voisins.
Les entreprises françaises sont fortement impliquées dans la formation
Dans le livret "Quand la formation continue", publié en en 2009, le Céreq reprend la synthèse de plusieurs enquêtes, menées tant en France que sur l'ensemble des pays européens, à propos de la formation professionnelle continue.
L'enquête "Continuing vocational training survey", menée auprès des entreprises, réalisée en 2006, portait sur 4755 entreprises de plus de 10 salariés , fournit des résultats que l'on peut croiser avec ceux d'autres pays européens. Ces résultats mettent en évidence le fait que les entreprises françaises sont en Europe parmi les plus actives de la formation continue.
Dans un graphique mettant en abscisse le taux d'entreprises formatrices pour les cours et stages (en excluant la formation en situation de travail) et en ordonnée le taux d'accès à la formation, la France apparaît nettement dans le peloton de tête (meilleur taux d'accès à la formation - meilleur taux d'entreprises formatrices), avec la Suède, le Luxembourg et la République tchèque. Dans le peloton de queue figurent la Grèce (en dernière position!), la Roumanie, la Hongrie, la Pologne... Dans le groupes du milieu figurent, par exemple, l'Allemagne, le Royaume Uni, l'Espagne.
Pas d'auto-flagellation, donc, notre pays se caractérisant à la fois, avant même que l'on puisse parler d'un éventuel impact de la loi de 2004, par un fort taux d'accès des salariés à la formation sous sa forme "cours et stages" et par une forte dépense des entreprises en matière de formation.
Les spécificités françaises sont elles liées au contexte institutionnel ?
Il y a bien des spécificités françaises au regard de ses voisins européens.
Ainsi que le mettent en évidence les enquêtes européennes reprises par le Céreq, tout comme l'enquête Cegos 2010, la France recourt plus que les autres pays à la modalité "cours et stages" (71%).
A l'inverse, un pays comme le Royaume Uni recourt de manière privilégiée à la formation en situation de travail.
On peut y voir un effet de la loi de 1971 , qui a sans doute eu pour effet de "stagifier" la formation professionnelle dans notre pays. Ceci pourrait alors également expliquer au moins en partie le retrait de la formation terrain, et de la formation à distance, mis en évidence par l'enquête Cegos (e-learning en auto formation, formations mixtes présentielle - à distance, visioformation...) : la frilosité des entreprises pourraient être liées au moins en partie à des freins sur l'imputabilité de l'action.
Source: Enquête Cegos "Quelle formation professionnelle pour aujourd'hui et demain" -2010
En effet, si d'autres pays européens ont mis en place des systèmes de mutualisation et d'incitations financières des entreprises à la formation, la France est le seul, à ma connaissance, qui a donné un caractère fiscal à la contribution de l'entreprise. Dans les autres pays, la fameuse question de l'imputabilité, qui génère chez nous tant de travail administratif, ne se pose pas. En France également, les OPCA « collectent et redistribuent environ 40% des dépenses totales des entreprises » (source : Céreq, 2009), avec un rôle particulièrement important pour les PME. Cela les amène à se poser en garants de l’imputabilité, en ayant souvent une lecture plus restrictive de ce qu’est une action de formation que l’Administration dans ses circulaires.
On peut également noter que la forte incitation mise depuis 2004 sur l'introduction de l'alternance "cours et stage"- "formation en situation de travail", via les dispositifs du contrat et de la période de professionnalisation, ne semble pas pour l'instant avoir donné leur empreinte aux pratiques de formation françaises (voir ci dessus le faible score de "Accompagnement par tutorat - mentor". L'influence du contexte institutionnel pèse surement sur l'évolution des pratiques formatives en France, mais il faut cependant la relativiser, et elle est difficile à isoler d'autres facteurs.
La taille des entreprises et leur intensité capitalistique : des facteurs déterminants
Ainsi que le note le Céreq dans "Quand la formation continue", c'est la taille des entreprises et leur intensité capitalistique qui est le facteur différenciant le plus important pour ce qui concerne l'accès à la formation des salariés européens. Ainsi, "au-delà des contextes institutionnels, l'intensité des pratiques de formation fluctue surtout en fonction de la taille des entreprises. Les petites entreprises françaises ont des attitudes plus proches des petites entreprises suédoises que des grandes entreprises françaises. (...).
Quelques soient les pays, la majeure partie des grandes entreprises, et dans certains la totalité, ont très largement recours à la formation continue". L'enquête Cegos reflète également le dynamisme des grosses PME (à partir de 250 salariés) et des grandes entreprises en matière de formation. A noter cependant que l'écart grandes - petites entreprises en matière de formation est particulièrement vrai en France (voir Bref Céreq n°251).
Les secteurs qui forment le plus, tous pays européens confondus, sont la Banque, le nucléaire –raffinerie- chimie, la fabrication de machines et équipements, de matériels de transport, les postes et télécommunications. Dans ce groupe de tête, la banque se distingue nettement, avec 74% de taux d’accès aux cours et stages et 3,7% de la masse salariale consacrée à la formation (source Céreq – Enquête CVT53).
Le tissu d'entreprises d'un pays, le poids respectif des différents secteurs d'activités dans l'économie, serait ainsi un élément prédictif de l'accès à la formation.
Exceptions en Europe : le Royaume Uni et en Norvège, où les salariés ont une espérance de formation assez homogène d’une entreprise à l’autre (6 heures en moyenne au Royaume Uni, quelle que soit la taille de l’entreprise). Selon l’explication avancée par le Céreq, ceci pourrait s’expliquer, au Royaume Uni, par « la relative faiblesse de la formation initiale, qui peut expliquer la nécessité pour les employeurs britanniques, quelle que soit leur taille, de former leur personnel".
En Norvège, où l’espérance de formation varie également peu selon la taille de l’entreprise (8 heures dans les petites et 11 dans les grandes), l’explication pourrait être liée à l’organisation de la formation dans ce pays : « d’une part, l’initiative de la formation est partagée entre le salarié et l’entreprise, et la formation se déroule le plus souvent hors du temps de travail. De fait, les petites entreprises seraient moins pénalisées dans leur organisation du travail. D’autre part, les grandes entreprises sont amenées à coopérer avec petites et moyennes pour organiser la formation de leurs salariés, ce qui tendrait à unifier leurs pratiques en la matière ».
Des différences liées au système de formation initiale
L’organisation de la formation initiale joue également, selon toute probabilité, sur l’accès à la formation continue et la nature des formations reçues par les adultes. A l’exception du Royaume Uni, d’une manière générale, plus le niveau de diplôme acquis en formation initiale est élevé, plus l’accès à la formation continue est développé, particulièrement dans la modalité « cours et stages » (par différence avec la modalité « formation en situation de travail »).
La France, pays où l’âge d’entrée sur le marché du travail est l’un des plus élevé, et donc la durée de la formation initiale la plus longue, est également un pays qui se démarque par le taux élevé d’accès à la formation continue, mais également l’une des plus fortes inégalités d’accès suivant la catégorie socio professionnelle (Source : enquête Cegos 2010).
Il me semble que la formation initiale peut également jouer sur les domaines de formations suivies.
Ainsi, dans l’enquête Cegos, nous notons le faible poids comparatif de la formation aux domaines « Management – Leadership - Ressources Humaines » en France (10% des salariés français interrogés qui ont suivi une formation dans les 3 dernières années déclarent avoir été formé dans ces domaines, contre 22% des allemands, par exemple). Peut –être faut il y voir une spécificité de l’accès aux responsabilités dans notre pays, souvent lié à un niveau de formation supérieur : les entreprises françaises considéreraient elles que leurs managers « connaissent déjà » ces domaines parce qu’ils « sortent d’une bonne école », alors qu’en Allemagne beaucoup de responsables sont passés par l’école professionnelle en alternance ?
En tout cas, c'est en France que les formations "Techniques sur le métier" sont les plus développées.
Les salariés français évaluent plutôt sévèrement leur entreprise
De ce premier tableau comparatif, on retient à la fois le dynamisme français en matière de formation, mais aussi des rigidités qui ont fait l’objet de tant de débats préparatoires aux ANI et aux lois de 2004 et 2009 : prédominance des modalités « stages et cours », inégalités d’accès à la formation qui ne permettent pas à l’effort de formation continue de contrebalancer l’insuffisance - ou l’obsolescence- de la formation initiale de certaines catégories de salariés… Plus surprenant, dans l’enquête Cegos, l’évaluation de la conduite de la formation dans l’entreprise – moins favorable par les salariés français que par leurs voisins. C’est ce que nous essaierons d’expliquer dans un deuxième billet, à suivre...