DIF, l'âge de raison?
Souvenez vous des mois qui ont suivi la loi de 2004. Une "bombe à retardement" était enclenchée, les demandes de "stages macramé" ou "pêche à la ligne" allaient fleurir, les coûts de formation allaient déraper... Et plus récemment, à l'approche de la "fatidique" atteinte des 120 heures cumulées, les compteurs allaient surement "exploser"...
Et bien non, en fait. Tiens ? Un moyen d'accès à la formation ne serait donc, en définitive, que ce que l'on décide d'en faire ?
Sept ans après la naissance du DIF, il est temps de faire un premier bilan, et de gagner en maturité sur la question de initiative en formation.
Pourquoi le DIF ?
Dans le préambule de l'Accord National Interprofessionnel du 5 décembre 2003, les partenaires sociaux constatent à la fois le fort accroissement, depuis la loi de 1971, de l'accès des salariés à la formation, mais aussi l'inégalité à cet accès. Ils mentionnent le DIF, et la possibilité de se former en dehors du temps de travail, comme l'un des moyens de développer l'accès des salariés à des actions de formation professionnelle et de réduire ces inégalités.
L'hypothèse de base est double :
- Si les personnes ont l'initiative de leur projet de formation, leur "appétence" à se former s'en trouvera accrue.
- Si le départ en formation se fait hors temps de travail, il sera moins gênant pour les activités de production, et l'accord de l'employeur sera plus facile à obtenir, en particulier dans les petites entreprises.
Les partenaires sociaux parient donc sur le DIF pour réduire les inégalités d'accès à la formation, en attirant les personnes qui sont "a priori" moins demandeuses, et en facilitant le départ en formation des salariés des petites entreprises.
Les ambitions initiales sont elles atteintes ?
En matière d'accès à la formation, les chiffres vraiment fiables sont issus des déclarations "2483" ou des OPCA, ou encore des enquêtes Céreq. L'inconvénient, c'est que les chiffres datent toujours un peu...
Prenons les donnés fournies par le "Jaune budgétaire" - annexe "Formation professionnelle continue" au projet de loi de finances 2011, document passionnant à lire tous les ans !
"Le DIF a bénéficié à un plus grand nombre de salariés en 2008 : 6 % des salariés contre 5 % en 2007 et 3 % en 2006. Le taux d’accès au DIF reste néanmoins relativement faible". "Force est de constater" précise le "Jaune", "que cette lente diffusion ne permet pas d'atteindre un régime de croisière du dispositif" (...). "Dès lors, considérant le peu de salariés concernés et compte tenu de la durée moyenne des formations au titre de ce dispositif (23,30 heures), il apparaît de moins en moins probable que le stock accumulé soit mobilisé à la fois dans sa totalité et de manière progressive".
Et voilà pour l'explosion des compteurs...
Le tableau du taux d'accès selon la classe de taille des entreprises montre que les inégalités liées à la taille de l'entreprise perdurent :
2% des salariés d'entreprises de moins de 20 salariés ont bénéficié du DIF en 2009, contre 9,8% des salariés d'entreprises de plus de 2000 salariés (source: Céreq). Au total, 23,9% des entreprises ont donné accès au DIF en 2009, et parmi elles 94,7% des plus de 2000...
En fait, les inégalités d'accès au DIF relatives à la taille d'entreprise reflètent exactement les inégalités d'accès à la formation dans son ensemble. Et l'effet "hors temps de travail" n'a pas vraiment eu lieu : " le DIF se déroule principalement sur le temps de travail", à 59,5%.
Il semble cependant qu'un constat plus positif puisse être fait à propos de l'impact du DIF sur la réduction des inégalités d'accès à la formation liées à la catégorie socio professionnelle.
"En 2009, les OPCA ont pris en charge 504330 stagiaires au titre du DIF"(...) 57% sont des employés ou des agents de maîtrise, alors que la part des ingénieurs ou cadres dans l'ensemble (22%) baisse au bénéfice de celle des ouvriers (20%)". Ces chiffres sont intéressants si on les compare avec l'accès à la formation, tous dispositifs confondus, par CSP (toujours d'après le "Jaune", pour 2009) : l'accès à la formation est de 57,7% pour les ingénieurs et cadres, contre 33,2% pour les ouvriers et 37,7% pour les employés.
Conclusion optimiste : le DIF a vraiment fonctionné pour les catégories accédant traditionnellement peu à la formation, même si les volumes sont encore trop faibles pour qu'il y ait un impact sur les taux d'accès à la formation tous dispositifs confondus.
Conclusion pessimiste : comme les ingénieurs et cadres ont largement accès à la formation ils n'ont pas besoin de prendre leur DIF, c'est pourquoi les autres catégories y recourent davantage sans qu'au global les inégalités d'accès se réduisent...
Une certaine désillusion ?
Au fil des questions posées par les stagiaires, ou par les lecteurs de ce blog, je note souvent une désillusion, voir une certaine amertume. Ce "droit", qui n'est "porté" qu'à hauteur maximale de 1158€ (et souvent avec bien des difficultés!) se résumerait il à "un droit à demander", assez limité dans sa portée réelle?
Cette déception m'a toujours semblé provenir d'un manque de pédagogie, et de courage.
- Pédagogie pour expliquer que le DIF n'a jamais eu pour ambition d'être "un deuxième CIF". Ce n'est pas un "droit à se former en plus" de ce dont on bénéficiait précédemment - c'est un droit à l'initiative qui doit être l'occasion d'un véritable dialogue avec l'employeur, son représentant, ou le conseiller Pôle Emploi, sur le projet de formation. Ce droit s'exerce individuellement, mais dans le contexte de l'entreprise ou de la recherche d'emploi, avec plusieurs parties prenantes qui ne peuvent être ignorées du demandeur.
-Courage, pour un dialogue d'adultes à adultes avec les partenaires sociaux sur la place qu'il convient de donner au DIF dans la politique globale de formation de l'entreprise. Le principe du DIF est relatif à l'initiative, non à la nature de l'action. En droit, toute action de formation est éligible au titre du DIF, même celle qui touche de près au métier de l'intéressé - du moment qu'elle soit réalisée sur temps de travail lorsqu'elle se rapporte à la catégorie 1. Cantonner le DIF aux actions "périphériques" en a réduit la portée, et l'immaturité des demandes dont se plaignent certains responsables reflète en réalité la marginalité de la place laissée dans leur entreprise à l'initiative du salarié en matière de formation.
Au final, le DIF va t'il changer quelque chose ?
Si l'on regarde les chiffres globaux, ce n'est pas encore le cas, comme on l'a vu...
Mais il y a aussi de belles pratiques, dans tous les secteurs de l'économie. Dans cette banque, pour remettre les salariés dans une dynamique de projet. Dans cette société de restauration collective, pour engager les salariés les moins qualifiés à acquérir les savoirs fondamentaux au plus près de leurs préoccupations quotidiennes. Dans cette grande entreprise de transport pour des parcours promotionnels. Et dans cette société de services de stationnement, pour des parcours professionnalisant et qualifiants, etc...
Au final, le DIF élargit le champ des possibles, mais il n'induit pas en lui même des pratiques : elles sont à inventer. Né dans la négociation, sans financement spécifique associé, il a vocation à s'appliquer dans la concertation, au niveau collectif et individuel. Entrer dans le DIF par l'obligation et dans "la peur du compteur" ne permet pas d'en faire un outil au service du développement de compétences - ce qui devrait être le cas de tout moyen d'accès à la formation.
Ce n'est pas un hasard si le fantasme du "DIF macramé" s'est beaucoup exprimé dans les années qui ont suivi la loi de 2004. Le macramé renvoie notre imaginaire collectif aux sympathiques années 70, avec leurs beatniks insouciants... Comme si, dans notre pays, les responsables pensaient que la demande d'un salarié ne pouvait, par définition, être mature. Cet écart entre la représentation de la demande d'autrui et la demande réelle s'est révélé de manière éclatante dans toutes les enquêtes Cegos portant sur le DIF.
C'est cela, qui va peut être finir par bouger, en partie grâce au DIF. Donner l'initiative, sur des actions de développement de compétences ayant un véritable enjeux, pleinement intégrées à la politique formation de l'entreprise implique de faire confiance, d'entrer dans une relation d'adulte à adulte : "l'âge de raison" de la politique de formation.