Dans le billet précédent, il apparaissait que les salariés français ont un accès à la formation plus favorable que celui de leurs voisins européens. Et pourtant, l’enquête Cegos 2010, menée auprès de 2200 salariés français, anglais, espagnols, allemands, montre une attitude plus critique des français envers leur entreprise, pour ce qui concerne le management de la formation professionnelle.
Faut il en déduire que les français sont des « râleurs impénitents » ? Ou bien y lire l’expression de blocages propres à notre société ? En tout cas, les réponses à apporter se situent, de mon point de vue, du coté du dialogue et du sens plus que du coté des moyens.
Les français satisfaits des formations suivies, mais critiques envers leur entreprise
Les salariés français, tout comme leurs homologues anglais, espagnols ou allemands, sont satisfaits des formations qu’ils suivent et considèrent qu’elles leur sont utiles.
Globalement, en fonction des formations suivies, diriez vous que (4 pays confondus) :
Ce taux de satisfaction et de réponse aux attentes élevé est partagé par les salariés des 4 pays visés par l’enquête, sans différence notable d’un pays à l’autre.
Là où les français se démarquent, c’est plutôt dans l’appréciation qu’ils font de la façon dont leur entreprise pilote la formation.
Considérez vous que votre entreprise met en oeuvre tous les moyens, pour:
Source : enquête Cegos mai 2010
Les réponses des salariés français sur ces questions relatives à l’engagement de leur entreprise (en matière d’identification des compétences, de concertation sur la formation, d’accompagnement…) sont toutes au dessus de 50%, il n’y a donc pas lieu de faire du catastrophisme.
Cependant, elles sont en net retrait des réponses des salariés des trois autres pays.
Et cette attitude critique était déjà patente dans les enquêtes Cegos précédentes :
Source : enquête Cegos octobre 2009
Des « enfants gâtés de la formation » ?
Ainsi, malgré des durées moyennes de formation supérieures à celle des autres pays ( 13 heures en moyenne par salarié en France, contre 6 h en moyenne au Royaume Uni, en 2005 (Bref Céreq n° 251 ), les français ne se sentent pas suffisamment accompagnés par leur entreprise dans leur projet de formation, et dans la construction de leur employabilité au sens large.
Et ce, malgré un arsenal législatif et conventionnel sans doute inégalé, dont l’une des résultantes est la part importante de dépenses dédiées à l’administration de la formation, dans l’entreprise comme dans les organismes de formation ou les OPCA…
Plusieurs explications possibles de ce climat déceptif.
Une première serait de se dire que « les français sont des râleurs », « des enfants gâtés », habitués à considérer la formation comme un dû… Certaines réponses tendent à montrer une attitude plus « passive » des salariés français que des salariés d’autres pays, dans lesquels le financement de la formation est plus difficile d’accès :
Quelle a été l'origine de votre départ en formation :
Source : enquête Cegos mai 2010
Malgré le CIF et le DIF, les salariés français prennent moins que les autres l’initiative de leur projet de formation.
On voit sur ce graphique que les pays dans lesquels la formation résulte le plus d’une initiative personnelle (Allemagne, Espagne) sont aussi ceux où il y a eu en amont le moins d’initiative partagée salarié/ manager. Sur les quatre pays, seule cependant l’Angleterre se démarque à la fois par une initiative partagée et par un meilleur taux d’entretien post formation avec le manager.
Qu’ils soient ou non bénéficiaires de la formation, les salariés français sont moins prêts que les autres à se former hors temps de travail ou à participer au financement de leur formation :
Source : enquête Cegos 2010
A dire vrai, nombre de formateurs intervenant en entreprise rencontrent ce phénomène de « blasés de la formation », surtout ceux qui peuvent faire la comparaison avec des animations conduites dans des pays émergents...
Tout en continuant de travailler sur une meilleure répartition de l’accès à la formation, il me semble que c’est surtout sur le sens, et sur le dialogue autour des projets de formation, que les entreprises françaises doivent insister.
Travailler encore et toujours sur le sens, dialoguer, communiquer
Ce qui ressort des graphiques précédents, c’est, de mon point de vue, une insuffisance de communication dans les entreprises françaises.
Comme si, dans cette « société de corps » (d’Iribarne), il était encore difficile de voir la formation comme un véritable outil pour sortir de trajectoires imposées par la formation initiale ou le métier d’entrée dans la vie professionnelle… D’ailleurs , « si les entreprises françaises figurent au premier rang pour la formation de leurs salariés, la France se place en dernière position de l’UE pour la formation professionnelle des adultes en emploi visant l’obtention d’un titre ou d’un diplôme » (Bref Céreq n°260).
Comme si, accaparés que sont les acteurs de la fonction formation dans leurs multiples tâches administratives, accaparés que sont les managers par leurs objectifs opérationnels, et malgré les multiples entretiens et consultations prévus par les textes, il n’y avait pas vraiment de place pour le dialogue et la concertation. Comme si ceux-ci restaient plus formels que réellement ressentis par les parties prenantes.
Il faut lire le Bref Céreq n° 260 de janvier 2009 pour mesurer à quel point l’information, les entretiens professionnels, les accords d’entreprise, ont un impact important sur l’accès à la formation, notamment des ouvriers et employés. Ainsi que l’indique ce document « pour que l’information sur la formation soit entendue, encore faut-il que l’entreprise lui assigne une fonction précise, et que cette fonction soit en relation avec les attentes des bénéficiaires éventuelles ».
Il n’y a pas d’apprentissage sans projet d’apprendre. C’est à la fonction formation de piloter les processus et d’outiller les managers et les salariés pour faire émerger cette co-construction des projets.