L’auto-évaluation de ses performances, son analyse, son partage, ne sont pas nouveaux, loin de là… Et pourtant, des solutions techniques, des tendances, des usages laissent à penser que le monde de la formation aurait fort à gagner à regarder par le bout de cette lorgnette. Décryptage.
Nike Fuel Band, FitBit, Jawbone, voire Apple Watch… autant de périphériques, le plus souvent portés au poignet, plus ou moins récents, et dont l’objet est de mesurer l’activité, généralement physique, de leur détenteur : l’auto-mesure, l’auto-quantification, la mesure de soi.
Le quantified self un usage récent ? Pas vraiment.
Accessibilité, challenge, gratification.
Les podomètres, chronomètres, tensiomètres et cardiomètres individuels existent depuis belle lurette. Ce que change en termes d’usages un périphérique de quantified self c’est son caractère accessible (comptez entre 80 à 400 €) et connecté :
- Connecté aux autres, à mes pairs, par un système d’amis et de réseau social avec lesquels je vais pouvoir me comparer.
- Connecté à un « standard statistique » qui va régulièrement me challenger : FuelBand va m’indiquer le nombre de points que gagnent quotidiennement les hommes de ma génération et m’adresser des défis en fonction de la nature de ma pratique (aérobic, football, fitness, bricolage…), tandis que FitBit va comparer la qualité et la durée de mon sommeil avec mes amis virtuels.
- Connecté à moi-même et en permanence car mon smartphone me transmet un monitoring en temps réel et des alertes à renforts de graphiques, statistiques et trophées virtuels.
Et c’est là où le réflexe cognitif du quantified self commence à être intéressant : c’est parce que je me sens, de mon plein gré, observé par mes pairs, monitoré par mon périphérique, que j’accepte le challenge que me propose la machine. Et la plupart du temps je l’accomplis.
J’ai tenté l’expérience avec FitBit et FuelBand.
Pourtant sportif régulier, une fois mes caractéristiques saisis dans mon profil (compter 10 minutes maximum), le défi était approprié à mes pratiques régulières : juste un petit peu au-dessus… Et j’ai pu constater que ma pratique sportive quotidienne a changé pour l’accomplissement d’un défi à la gratification toute virtuelle : un badge, une animation, un tweet automatisé, une vibration du bracelet.
Certes le réflexe s’essouffle au bout de quelques semaines, certes la gratification peine à se renouveler, et finalement ce que l’on retrouve au bout de la démarche, c’est bien le goût de l’effort.
Mais toujours je me souviendrai avoir descendu, monté, re-descendu puis re-monté mes escaliers pour obtenir, quelques minutes avant l’expiration du défi un sésame dérisoire : une animation sur mon bracelet et mon monitoring : 12 diodes qui clignotent en vert et m’affichent "GOAL, Go VINCENT". Mais oui je l’ai fait, et oui j’ai éprouvé du plaisir à faire l’effort nécessaire pour accomplir cet inutile défi.
Et la formation dans tout cela ?
Les extensions d’usage du quantified self sont immédiatement à imaginer dans le domaine médical, on n’invente rien ici… Problème : difficile de faire accepter qu’un périphérique à 100€ soit capable de mesurer tension, rythme cardiaque, niveau de diabète et cholestérol et de le faire valider médicalement. Aussi, à date, les constructeurs s’abstiennent de s’adresser à cette cible, et pourtant la technologie est là : capable d’adresser une alerte à un professionnel qu’un patient est en souffrance. Question de temps, question de lobbying et d’éthique probablement aussi…
De là à imaginer nos apprenants porter des bracelets de monitoring les évaluant sur leur pratique du management, de l’entretien d’évaluation ou de leur capacité à maîtriser le stress, il n’y aurait qu’un pas diraient les impatients.
Mais, et c’est probablement mieux ainsi !, à date aucune entreprise ne songe à obliger ses salariés à porter des bracelets de performance. Tant pis pour les impatients.
Pourtant nos apprenants, être digitaux à part entière, se familiarisent progressivement à cet usage. Nike est en train d’étendre sa technologie à toute une gamme de vêtements connectés, les runners peuvent comparer leurs parcours en ligne et en temps réel, Fitbit se focalise sur des indicateurs de bien-être, Apple tente de centraliser et monétiser tranquillement l’ensemble. Ce qui importe ici est la logique de l’usage.
Et cette logique m’invite à penser que ce que nous devons (re)mettre en place dans nos formations est l’individualisation de la notion de performance, le défi personnel et itératif, l’accomplissement de soi, le goût de l’effort et du dépassement. Que ce soit dans l’e-learning ou le présentiel, avec ou sans technologie, ce qui importe ici c’est le retour de la propension des êtres apprenants à s’auto-infliger une contrainte, pour la dépasser. Par plaisir, auto-satisfaction et auto-gratification. « Douleur exquise » dirait une grande artiste.
Quelques limites ?
Alors oui, les sceptico-catastrophistes se demanderont à quoi peut servir la collecte des données ? Si mon bracelet sait que je pratique le football entre 12 et 14h le mardi, n’est-il pas en mesure de m’adresser à 14h05 une publicité pour une boisson énergétique et pour le match du soir diffusé sur une chaîne à péage ?
Imaginez le même fonctionnement dans le domaine médical et pharmaceutique et c’est le grand vertige… Les sceptiques n’ont pas tort. Mais gageons que si l’être humain est capable de s’auto-stimuler, s’auto-évaluer, il soit capable aussi capable de s’auto-réguler.
Human after all, non ?