A la lecture de l’ouvrage « La psychologie stoïcienne » de Michael Pichat (maitre de conférences des universités en psychologies), des liens d’évidence me sont venus entre l’analyse de l’approche stoïcienne qu’il nous soumet et les situations que nous rencontrons dans notre métier de manager.
Première prise de conscience : une lecture personnelle
Chacun, qu’il soit manager ou bien collaborateur, a une lecture personnelle d’un même fait ou événement. Cette grille de lecture personnelle est liée à ses expériences passées et à sa propre façon d’appréhender les situations en fonction de ses réussites, ses échecs, les conditions d’éducation que nous avons connues au cours de notre parcours.
Si je vous dis :
- « Le patron a regardé sa montre toutes les 10 minutes pendant notre réunion c’est un comportement inadmissible ! »
- « Le patron a regardé sa montre toutes les 10 minutes pendant notre réunion il devait s’ennuyer ferme … »
- « Le patron a regardé sa montre toutes les 10 minutes pendant notre réunion, nous n’avons pas réussi à l’intéresser, ce devait être nul… »
- « Le patron a regardé sa montre toutes les 10 minutes pendant notre réunion, il doit être préoccupé par un sujet grave. »
- « Le patron a regardé sa montre toutes les 10 minutes pendant notre réunion, il a peut-être des problèmes personnels. »
Vous avez là des exemples d’un même évènement objectif et observable, et quelques interprétations qui peuvent en être faites. Ces représentations sont le fruit de nos pensées et, part nature, elles sont subjectives.
La liste de ces interprétations pourrait s’allonger des multiples possibilités alimentées par les systèmes de pensée de chacun…
Deuxième prise de conscience : le développement du manager passe par...
L’acceptation de cette multiplicité d’interprétations, dans le sens où l’on ne peut éviter une subjectivité, une interprétation individuelle des caractéristiques du réel. Ces interprétations relèvent d’une série de choix mentaux d’analyse, susceptibles d’entrainer des distorsions de la réalité.
- L’identification de ses propres grilles d’analyses du réel, et donc des biais récurrents d’interprétation qui amènent à une perception altérée voire faussée de la réalité. Les 3 principaux biais que l’on peut observer sont :
- Le biais d’amorçage : je suis convoqué en réunion par mon N+1 et en raison d’événements périphériques, d’informations sur de mauvais résultats, j’aborde l’entretien en « attendant la mauvaise nouvelle », alors que mon manager avait juste besoin de faire un point… Évidemment ma posture sera inductive, je pourrai montrer une certaine fébrilité, ou ne pas être à l’écoute et, au final, impacter négativement la réussite de l’entretien.
- Le biais de récence : notre mémoire émotionnelle retient plus facilement les derniers points chronologiques évoqués lors d’un entretien. S’ils sont négatifs, cela aura un impact sur notre vision d’ensemble.
- Le biais de primauté : si au début de l’entretien mon N+1 parait préoccupé, peu attentif, et même si ensuite la relation s’assouplit, c’est cette entrée en matière (la froideur des premiers instants) qui restera primordiale.
La pédagogie envers son équipe pour revenir à une vision du monde commune. Les stoïciens considèrent que l’efficacité nécessite :
- De varier les points de vue sur un évènement ou une situation, pour éviter la pensée unique et souvent risquée.
- D'explorer l’évènement ou la situation dans ses moindres détails et prendre le recul nécessaire pour élaborer un multiple champ de possibles.
Troisième prise de conscience : aider le collaborateur
Une étape de développement supplémentaire pour le manager consiste à être en mesure d’aider son collaborateur à identifier ses propres biais d’interprétation pour les confronter systématiquement au réel, les revisiter et les remettre à leur juste place.
Le manager se positionne alors comme un manager coach.
Dans cette posture, il va permettre à son collaborateur de comprendre ses propres tendances de fonctionnement dans l’analyse du réel : voir plutôt les aspects négatifs que positifs d’une situation, tirer des conclusions infondées en se référant a des expériences passées difficiles (ex : j’ai déjà partagé un bureau et cela m’était difficile, voici que je vais devoir le faire à nouveau donc cela va forcément être difficile à vivre !). Ou cette année je n’ai pas atteint mes objectifs donc je suis un incompétent.
Cette pédagogie vise à accompagner le collaborateur à une meilleure adaptation au réel, à prendre du recul dans les environnements changeants et à bien faire la distinction entre ce qui relève des faits (qui peuvent dépendre d’orientations managériales, de l’environnement économique, de la relation manager-collaborateurs..) et ce qui relève de son interprétation personnelle et émotionnelle de ces faits. L’objectif est, bien sûr, de revisiter cette interprétation personnelle dans la mesure où elle peut représenter un risque pour le collaborateur (de dévalorisation, de perte de confiance ou d’estime de soi)
En conclusion : « Cesse de te comporter en esclave de tes représentations » (Manuel d’Epictète, 3é siècle avant J-C).