CPF 2 : le pari de la confiance
1. Le pari de la confiance : un changement culturel
2. « Remettre chacun dans le bon dispositif »
3. Changement culturel : responsables de la formation et du développement des compétences, à vous de jouer !
Passionnante matinée de l’AFREF, le 22 mars 2018. Au fil des apports et des échanges, le débat autour du CPF se clarifie. D’un côté, ceux qui adhèrent pleinement à l’idée de « désintermédiation », portée par la note d’orientation du gouvernement et la récente déclaration de Mme Pénicaud.
De l’autre, ceux qui se demandent si finalement cette désintermédiation ne donnerait qu’une liberté de choix assez formelle aux individus. Passionnants échanges donc, auxquels j’ai modestement contribué. En voici quelques morceaux choisis.
1. Le pari de la confiance : un changement culturel
Stéphane LARDY, Directeur adjoint du cabinet de la ministre du Travail, retrace l’évolution du CPF depuis sa création en 2003 jusqu’à l’ANI de 2018 et le projet de loi en cours de rédaction comme « une avancée du droit individuel au droit personnel ». Le DIF était un « droit à l’initiative », puis « on entre dans une logique de droit personnel qui va plus loin en 2013 et encore plus loin avec l’ANI du 22/02/18 ».
« Le CPF », dit Stéphane Lardy est « un droit personnel sans intermédiation »
Bien sûr, comme l’indique le rapport de l’IGAS en juillet 2017, « le droit ne suffit pas à susciter les usages ». « On rend les gens plus libres, il faut les rendre capables. Les aider à faire le bon choix sans le faire à leur place », dit Stéphane Lardy.
Cette « mise en capacité » implique de s’inscrire dans une démarche systémique. Si on arrête l’intermédiation il faut que le marché soit plus lisible, transparent. Mieux observer les coûts, les prix. Entrer dans une logique beaucoup plus forte de certification des organismes de formation.
Revoir le système de certification des personnes, aussi : revisiter ce qui relève du RNCP, revoir la régulation de la certification privée, aujourd’hui « pas vraiment régulée par la CNCP », qui n’est « pas outillée pour le faire ».
Le Conseil en Evolution Personnel est bien sûr un élément important de cette « mise en capacité ». Son financement sera lissé sur l’ensemble des dispositifs. « Un gros travail reste à faire avec les partenaires sociaux pour remettre à plat le cahier des charges ».
Cette liberté de choix représente un changement culturel
Cela signifie de « se former davantage hors temps de travail, ce qui va de pair avec la digitalisation de l’ensemble de l’économie et de la formation » : on entre dans une « logique du non présentiel », et « la notion d’heures n’a plus grand sens dans beaucoup de cas ». Stéphane Lardy confirme que la monétarisation du CPF figurera dans le projet de loi : « plus simple et plus lisible pour les gens », elle lui semble être un facteur d’appropriation du CPF par les particuliers.
Ce changement culturel, pari sur l’autonomie de chacun dans la conduite de son projet, se fera sur le long terme : « ce que l’on est en train de faire va prendre des années ». Il impacte les particuliers, les entreprises, les partenaires sociaux … « Si on arrive à faire que dans 5-6 ans on ait 4% des salariés qui prennent leur CPF autonome (900 000 pers./ an) ce sera déjà énorme. L’objet n’est pas de monter à 30% ». « En France on ne fait pas assez confiance aux gens. Il ne faut pas se substituer à eux mais les aider, les rendre libres c’est aussi ça. Il faudra une génération pour changer les comportements. Il faut être ambitieux mais modestes ».
2. « Remettre chacun dans le bon dispositif »
Dans son chapitre 2, l’ANI du 22/02/2018 rappelle que « le compte personnel de formation (CPF) a pour objet de donner à chacun les moyens d’évoluer professionnellement et de sécuriser son parcours professionnel, notamment en progressant d’un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle et/ou en obtenant une qualification dans le cadre d’une reconversion professionnelle ». Le CPF est donc par essence un dispositif relevant d’une logique individuelle : progresser, se reconvertir, sécuriser son parcours.
Mais comme le soulignait J.-C. Maumelat dans le billet précédent, acquérir des compétences, se professionnaliser, se joue dans la rencontre entre un projet de l’individu pour lui-même et un environnement qui lui permet de matérialiser les capacités acquises en formation. Rappelons que la formation donne des ressources pour agir, des capacités. Mais que la compétence ne se forge qu’en situation réelle. Il y a donc forcément une logique individuelle et une logique collective à croiser.
Le système actuel maintenait une certaine porosité entre la logique individuelle et celle de l’entreprise, via différents mécanismes :
- L’entreprise pouvait, en application d’un accord, internaliser la gestion du CPF et pour cela gérer en propre la contribution de 0,2% correspondante. En fait, cette disposition a peu vécu.
- L’abondement du projet CPF du salarié était grandement facilité par le fait que les OPCA l’ont en pratique refinancé au taux de prise en charge du CPF, et non au taux de prise en charge de la période de professionnalisation comme prévu initialement.
Le projet de loi en cours de rédaction, prévoit toujours la possibilité d’un abondement. Et S. Lardy, dans son intervention, évoque le maintien d’une logique de co-construction, sur des projets qualifiants, pour abonder des formations nécessaires à l’évolution des compétences dans l’entreprise. Mais ce qui est terminé, c’est :
- la possibilité pour l’entreprise de gérer le 0,2% en direct
- l’utilisation du CPF, ou de la période de professionnalisation, pour « faire le plan » : « on remet chacun dans le bon dispositif ».
3. Changement culturel : responsables de la formation et du développement des compétences, à vous de jouer !
Les dispositifs créent un effet d’aubaine. Les certifications les plus mobilisées par le CPF en 2016 par les salariés laissent penser que celui-ci a été utilisé dans le prolongement du DIF, voire en substitut du plan :
Source :Certifications les plus mobilisées par le CPF en 2016, tableau 3,Rapport IGAS juillet 2017
On n’est en fait pas majoritairement dans les objectifs assignés au CPF, évolution professionnelle et progression en qualification… Le changement culturel dont parle S. Lardy, quelle forme va-t-il prendre pour les directions de la formation et du développement des compétences ? Avec la fin de la période de professionnalisation, l’enjeu du co-investissement devient plus fort pour l’entreprise. Mais il sera aussi plus difficile. Lorsque l’OPCA refinançait en moyenne à 37,80€, y compris l’abondement, le reste à charge était souvent faible pour l’employeur.
Dans un premier temps, les salariés qui ont toujours leur crédit d’heures DIF (valable jusqu’à fin 2020) et qui n’ont pas utilisé leur CPF auraient un crédit de 150 h valorisé à 2142€, selon une récente déclaration de Mme Pénicaud mentionnant une conversion à 14,28€/heure. Ensuite, pour un projet nécessitant une action à horizon d’un an, l’abondement portera sur ce qui dépasse 500€… Certes, le co-investissement employeur pourra sans doute être aidé par la branche, qui peut très bien continuer à prévoir une contribution conventionnelle- dont la ventilation de l’attribution entre plan et CPF restera à établir.
Dans la version 1 du CPF, réalisé le plus souvent sur temps de travail, le dossier était majoritairement instruit par l’employeur puis adressé à l’OPCA. Cette intermédiation disparaissant, il sera plus difficile de ménager cet espace de dialogue et de co-construction d’un projet « d’intérêt partagé » entre l’entreprise et son collaborateur. « Ces calculs appartiennent au vieux monde », dit en substance un participant de la réunion de l’AFREF. « Aujourd’hui chacun doit pouvoir se former où il veut, quand il veut, y compris à la retraite, sans remplir de formulaire B12 ». Ainsi, l’idée est de passer, côté entreprise, d’une logique d’optimisation financière à une logique de développement de compétences, par tous moyens, au-delà de la définition classique de l’action de formation.
Du côté des personnes, la réforme nous renvoie à l’idéal de « l’Homme des Lumières », libre de son destin. Ce serait la fin définitive de la « société d’ordres », qui assignait à chacun une place et un collectif de référence. Place à une société fluide, où chacun peut décider à sa guise de changer de statut, de métier, et devient « auteur de sa vie », pour reprendre la belle expression de René Bagorski. Aux Directions de la formation et des compétences de relever le beau défi de susciter la cohésion, la coopération, la compétence collective dans ce monde peuplé d'individualités.
Pour prendre connaissance des mesures portées par la Réforme de la formation professionnelle en cours, et échanger sur ses impacts, nous vous invitons à nous rejoindre sur le stage Actualité du droit de la formation - spécial Réforme.