Cousin du design spéculatif, le design fiction est une approche qui permet d’explorer collectivement un sujet de manière prospective. L’enjeu est de susciter un débat, de générer des réactions en touchant du doigt et matérialisant les expériences qui pourraient survenir dans le futur. Explications.
Qu’est-ce que le design fiction ?
Nommé par l’auteur de science-fiction Bruce Sterling dans les années 2000, le design fiction est une approche prospective qui fait de plus en plus parler d’elle. « Elle permet d’explorer collectivement les futurs possibles, de matérialiser des scénarios fictionnels, de les mettre en débat et ainsi de questionner notre présent », explique Marianne Ruffié, directrice de projets chez Cegos.
Cette approche se situe au croisement de plusieurs disciplines : la science-fiction, la futurologie, le design stratégique, la philosophie, l’art… Sa particularité ? Elle cherche davantage le dissensus – sa matière première – que le consensus. « Contrairement au design prospectif, le design fiction ne donne pas lieu à des rapports de plusieurs pages, mais à un provotype, c’est-à-dire un prototype qui provoque une émotion », indique-t-elle. Si cette approche émerge de plus en plus, c’est qu’elle permet d’interroger les problèmes et de les anticiper dans une perspective plus large, en prise avec les impacts potentiels.
Le design fiction : quelques exemples
Cette approche a été utilisée à plusieurs reprises, dans des contextes très différents. En 2014, dans le cadre de la 20e Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP 20), qui se déroulait au Pérou, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) demandait aux professionnel.les (dont la française Évelyne Dhéliat) de présenter un faux bulletin météo daté du 18 août 2050 afin d’alerter le monde entier sur le réchauffement climatique et d’interroger ses impacts potentiels. Une initiative qui s’appuyait sur la démarche de design fiction.
Dans un autre registre, le ministère des armées a réuni, en 2020, un collectif d’écrivain.es et de scénaristes de science-fiction – la Red Team – pour aider les expert.es scientifiques et militaires à imaginer les menaces futures visant les intérêts de la France. « Cette approche leur a permis d’interroger d’autres sources et d’autres imaginaires, d’aller un cran plus loin dans la préparation de l’avenir de la défense », commente Marianne Ruffié.
Pourquoi se servir du design fiction dans une formation ?
Si les acteurs de la formation comme Cegos ont tout intérêt à s’intéresser à cette approche, c’est parce qu’elle peut leur permettre « d’innover dans leur manière de concevoir des contenus de formation » et ainsi « mieux adresser les grandes transitions qui se profilent, par exemple en matière d’apprentissage », résume Marianne Ruffié.
En d’autres termes, le design fiction permet aux professionnel.les du L&D et aux formateur.rices d’interroger leurs pratiques, d’entrevoir l’avenir de leur métier. Mais aussi, par effet de ricochet, cette approche permet de mieux accompagner les entreprises et leurs apprenant.es au regard des futurs enjeux managériaux, organisationnels, digitaux, commerciaux, produits, durables... qui se profilent.
Pour les professionnel.les de la formation, adopter cette méthode est par ailleurs une opportunité de s’ouvrir à d’autres imaginaires, de croiser différentes disciplines qui, sur le papier, semblent éloignées, voire de se positionner comme un innovateur dans leur domaine d’expertise.
Le design fiction : au service de quelles compétences ?
Dans le cadre de la formation, plusieurs expérimentations qui se sont appuyées sur le design fiction ont d’ores et déjà été menées par Cegos.
Par exemple, dans le secteur automobile, une entreprise a souhaité se questionner sur son nouveau modèle de leadership à horizon 2050. Des ateliers ont permis aux top managers du groupe de s’appuyer sur le design fiction pour créer une discussion sur le sujet, réaliser des artefacts, imaginer des scénarios... « Leur enjeu était d’anticiper les lignes que feraient bouger leur nouveau modèle de leadership et d’interroger le présent au regard de ces découvertes », rapporte Marianne Ruffié.
En cela, ce type d’approche, qui se matérialise le plus souvent par l’organisation de workshops, développe des compétences clés comme « la pensée critique, l’approche systémique, la créativité, la capacité à regarder les problèmes sous un angle nouveau... », cite la directrice de projets. Cela suppose toutefois d’avoir, chez les participant.es, une appétence pour la pensée stratégique et un état d’esprit propice à l’intelligence collective.
Comment le mettre en œuvre ?
Les professionnel.les de la formation souhaitant s’essayer au design fiction peuvent suivre ces cinq étapes au cours d’un atelier :
1. L’immersion
Cette étape consiste à compiler prospective et imagination. Il s’agit de prendre connaissance des données, méga trends, signaux faibles, et de stimuler l’imaginaire d’un groupe, de le projeter dans le(s) futur(s), via une scénographie (objets, ambiance sonore, vidéos...) pour créer une « galerie des futurs ».
2. La conception
Il s’agit de la formulation des hypothèses et des scénarios. Ils permettront ensuite de dégager des éléments de prévision. Cette étape passe par le processus d’idéation « Et si ? ».
3. Le prototypage
Ici, on cherche à rendre tangibles les scénarios du futur évoqués via des objets fictifs (les artefacts peuvent prendre différentes formes : une fiche de poste, une vidéo, une saynète, un manifeste...).
4. L’exposition
C’est l’étape où les artefacts sont présentés au public afin de tester leur valeur et surtout de susciter un débat autour de la thématique choisie.
5. L’atterrissage
Au regard des enseignements récoltés, il convient de concevoir les solutions dans le présent, par exemple en imaginant une feuille de route à rebours des évolutions futures.
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